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LES J U I F S SOUS L ' A N C I E N R É G I M E 91 fortes qu'elles doublaient, au taux légal, les capitaux avancés en trois ans et quatre mois. Ce privilège de faire la banque et par suite l'usure concédé aux israélites était, disait la royauté, un droit régalien. Soit : mais il avait pour conséquence de laisser le marché ouvert aux juifs et de le fermer aux chrétiens. Il était donc politiquement aussi maladroit que la proscription de la race était odieuse, car, par les abus qu'il provoquait, il conduisait presque infailliblement à jeter hors des frontières les banquiers privilégiés de la monarchie, et faisait sortir du royaume la meilleure part de son argent monnayé. En favorisant la spoliation, il engendrait donc la misère. Quelques princes essaj'èrent de réagir, à l'exemple du roi Charles V, contre ces mesures de proscription et introdui- sirent dans leurs Etats un régime de tolérance, malheureusement bien éphémère, quoiqu'il eût, au fond, pour but de créer des ban- quiers officiels. Il en fut ainsi en Bourgogne, de 1373 à 1384, sous la généreuse initiative du duc Philippe le Hardi1. Mais ces tentatives libérales avortèrent bientôt. Les plaintes des seigneurs, du peuple lui-même obligèrent promptement les grands vassaux qui avaient essayé de ce régime à y renoncer. Déjà , en Franche - Comté, les juifs avaient été de nouveau expulsés vers 1361. En Bourgogne, le duc fut contraint de revenir sur ses concessions. En France, Charles VI dut, pour satisfaire l'opinion populaire, anti- ciper le terme fixé à leur séjour dans le royaume. Par lettres-pa- tentes du 17 septembre 1394, il les bannit à perpétuité de ses Etats et leur fit défense d'y demeurer sous peine de mort2. A partir de 1 V., dans Simonnet, Documents inédits sur l'ancien droit en Bourgogne, p. 428, 433, la série des mesures prises en Bourgogne à l'égard des juifs qui, placés sous ]a protection ducale, jouissent dans ce pays d'une sorte d'inviolabilité, sont déchargés de toute redevance envers les hauts justiciers dont ils habitent les terres, ainsi que de toutes charges publiques, gabelles, aides, osts et chevauchées, garde de villes, prises pour le service du duc, sauf des subsides promis par eux à cslui-ci et des impots déterminés par une convention spéciale, peuvent prêter à un taux fixé d'avance (4 deniers par livre et par semaine), établir une taille sur les membres de leur communauté pour ses propres besoins, conserver leurs rabbins et leurs cime- tières, sont dispensés de porter la marque dis'.inctive de leur race, et ne sont pas soumis à la contrainte par corps, pour dettes civiles à moins de stipulation formelle. (Ord. de 1373, déc. 1374, fév. 1379 et 10 janv. 1381.) Ces faveurs ne s'accordaient, au surplus, qu'à un petit nombre de familles, cinquante-deux au plus. 2 Delamare, Traité de la police, t. I, p. 305; Beugnot, Juifs d'Occident.