page suivante »
M. MARY LAFON 207
Que la phrase de Jasmin ne soit pas nourrie de ces idiotism.es
provençaux, n'ait pas cet uniforme goût de terroir qu'on trouve
chez quelques-uns de ses devanciers, cela tient en grande partie Ã
l'heure où il écrivait. Mais qu'on lise seulement ses beaux poèmes,
Marthe la folle, Françounette, l'Aveugle du castel Culte, Mes
souvenirs, — auquel il n'est même pas fait allusion dans la pré-
tendue histoire littéraire que nous avons sous les yeux, — et l'on
se convaincra d'une couleur locale absolument profonde et d'une
égale connaissance du cœur humain. Ces poèmes, d'ailleurs, sont les
seuls fondements sur lesquels Sainte-Beuve, Villemain, Nodier,
Pontmartin et les autres aient appuyé la gloire de Jasmin.
Quant à l'anecdote que donne M. Mary Lafon, dans ses ConfeS"
sions, de sa rencontre avec le poète dans la ville même d'Agen,
outre qu'elle est d'un goût douteux, elle jure tellement avec la
fierté reconnue de Jasmin, qu'elle ne mérite pas qu'on s'y arrête
davantage.
Après Diouloufet, disions-nous, M. Mary Lafon aborde Bellot
le troubaire. Dans ses Confessions comme dans son Histoire,
l'auteur nous apprend (à regret?) avoir composé, antan, une intro-
duction pour le Oalejaïre, le dernier livre du poète. Ceci nous
explique sa bienveillance pour une œuvre à vrai dire assez belle,
mais franchement patoise, celle-là . L'auteur du Pouèto Cassaïre,
conteur libre et malin, réussit mieux que personne, en exceptant
Bénédit, à prendre les types de Marseille. Mais M. Mary Lafon ne
cite ni Bénédit, ni la Sinso, ni Gelu, pas plus que Desanat,
rédacteur illettré d'un grand journal, la Bouïabaisso où les
troubaire s'amusaient à patoiser, Bellot en tête. C'est alors que
Roumanille, « l'honneur littéraire d'Avignon, » dit l'auteur, car
toujours lutter fatigue même les hercules, fit voir à ce brave
aïeul qui francisait de bonne foi qu'il y avait une vraie langue
provençale autrement harmonieuse et riche, et il envoya au Tam=
bourinaire,enl839, Gege, tableau en vers. On accueillit avec bonté
ce petit œuf dont toute une révolution allait éclore, conduite par
le jeune auteur des Margaridito et des Capelan. Et le 21 mai 1854,
le félibrige était fondé au châtelet de Fontsegugue.
Sans parler seulement de ces débuts du félibrige, l'austère cri-
tique arrive à Frédéric Mistral, à qui, dit-il, s'arrêtera pour lui la