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                LES J U I F S SOUS L ' A N C I E N R É G I M E              89

 des nombreuses épaves produites par la saisie; quant au menu
 peuple, on le déchargea des intérêts les plus usuraires qu'il
payait à ses prêteurs habituels et, dans son allégresse, il se jeta
 sur ceux-ci, pour les rouer de coups. La justice fut obligée de
 sévir; mais elle arriva un peu tard ; à certaines époques, il semble
qu'il n'y ait pas de réjouissance populaire sans du sang versé.
   Les juifs hors du royaume et leur argent dans la caisse royale,
les seigneurs indemnisés, le peuple dégrevé de l'usure qui le
rongeait, tous les intérêts étaient satisfaits, sauf ceux du droit et
de l'équité. Et pourtant rien n'était gagné : voici que les banquiers
indigènes reprennent, avec leur clientèle, le commerce et les tra-
ditions, des expulsés; dégagés de toute concurrence, ils bravent
les défenses ecclésiastiques ; entre leurs mains, l'usure refleurit
mieux que jamais. Mais leurs capitaux sont loin de suffire à toutes
les demandes ; de toutes parts les doléances se font entendre, un
choniqueur normand en est le témoin et l'interprète. Le taux de
l'argent s'élève, les excommunications pour dettes se multiplient ;
les plus riches ne pouvant emprunter finance dans un cas urgent
sont saisis ou menacés de perdre leurs héritages ; les gages se dis-
persent ou s'égarent ; c'est un gémissement universel. Philippe le
Bel y demeure sourd. Mais son successeur est plus accommodant;
sur la plainte des deux premiers ordres de Bourgogne, du Forez
et du diocèse de Langres, il autorise les juifs à rentrer en France
pour douze ans et à recouvrer le tiers des créances qu'ils avaient
à l'époque de leur expulsion. Il leur est interdit de prêter à plus
de deux deniers pour livre par semaine, taux modique, puisqu'il
équivaut à 40 0/0 par an1. Ils ne peuvent d'ailleurs exiger d'autres
garanties que les gages qui leur seront remis, ni réclamer des in-
térêts en justice. Enfin ils sont replacés sous la puissance des
seigneurs sur le territoire desquels ils habitaient au moment de
leur sortie du royaume ou chez qui ils viendraient à s'établir pour
la première fois et reprennent la jouissance de leurs synagogues
et de leurs cimetières 2.

  1
    Le même taux était autorisé à Golmar en 1388. C'est le taux normal à cette
époque. (Hanauer, Études économique, t. I, p. 524 et suiv.)
  2 Ord. des 17 mai et 28 juin 1315.