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LES A R T I S T E S LYONNAIS 49 sujet. Gomme c'est exact! Comme c'est nature! disent les impres- sionnistes ravis. C'est exact, tant que vous voudrez ; mais le beau peut être tout aussi exact, et l'on peut faire nature sans choquer l'œil ni le goût. Si vous tenez à me représenter un objet déplaisant par lui-même, vous pouvez le faire sans éveiller en moi aucun sentiment de répulsion. Boileau l'a fort bien dit. J'ai donc le droit de me plaindre quand, sous prétexte de traduire fidèlement la nature, vous la déshonorez, en voulant me convaincre qu'elle est telle que vous la voyez, et jamais autre. Il est superflu de dire, je suppose, que ce n'est point devant les tableaux de M. Puvis de Chavannes que l'on se livre à de sem- blables doléances. Sa qualité maîtresse est de se montrer au moins aussi soucieux de charmer les regards que d'éveiller le sentiment du beau et du noble. Les artistes de la belle antiquité avaient le même instinct. Pour l'auteur de Ludus pro patriâ, l'art ne sau- rait se rabaisser à l'imitation servile et plate de la réalité ; il doit viser plus haut ; il doit, avec la reproduction d'objets habilement combinés, attirer notre attention sur l'idée dominante d'une œuvre. Plus cette idée sera généreuse, délicate ou touchante, plus le triomphe de l'artiste sera grand si elle pénètre le spectateur et s'empare de lui. Les habitués du Salon connaissaient déjà Ludus pro patriâ. Il y a quelques années ils avaient pu en admirer le carton. Au- jourd'hui nous voyons sous sa forme définitive cette page vérita- blement magistrale de peinture décorative, et le public, avant le jury, lui avait décerné la médaille d'honneur. La composition se divise en trois groupes : au centre, des hommes nus, dans la force de l'âge, s'excercent à lancer le ja- velot contre un arbre ; d'un côté, des vieillards et des enfants les regardent; de l'autre, devant une hutte gauloise, des femmes se livrent aux soins du ménage ou apprêtent le repas du soir. Tout cela est simple, grandiose, poétique et dégage je ne sais quoi qui élève et réconforte. Mais ce charme exquis que l'on éprouve de- vant les tableaux de M. Puvis de Chavanes ne s'impose pas im- médiatement. Il vous pénètre peu à peu à mesure que vous étudiez l'œuvre du maître et le moment vient où vous découvrez sans cesse de nouvelles beautés. JUILLET 1882. T. IV. A