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40                    LÀ REVUE LYONNAISE
miniature de pagode en bois de sandal. Un peu avant minuit,
l'idole paraît portée par un Brahme en robe blanche, coiffé d'un
bonnet persan ; quatre bajadères forment cortège. Des feux de
bengale resplendissent le long de l'étang ; des myriades de fusées
tracent dans la nuit leurs sillons lumineux ; la foule jusqu'alors
silencieuse se lève et bat des mains. On installe le dieu, et le radeau,
tiré par les uns, poussé par les autres, commence lentement sa
promenade sacrée. Du haut des sièges d'honneur qu'on nous a
donnés, le coup d'œil est réellement féerique. Les flammes de ben-
gale font de grands jeux d'ombre et de lumière. Je distingue au
passage dans un pêle-mêle étrange les tuniques blanches des Indiens,
les pagnes rouges et jaunes des Indiennes, leurs pendants d'oreilles,
les petits toquets de fils d'or qu'elles se placent sur la tête et que les
plus pauvres remplacent par des guirlandes de fleurs. La plupart
de ces dames présentent un modèle de formes irréprochable. Quel-
ques-unes sont presque jolies et leurs visages en chocolat sont
percés d'yeux qui ne manquent ni d'expression, ni d'éclat. Quand
le radeau passe devant nous, j'entrevois l'idole, une tête d'or gri-
maçante sur un corps d'argent difforme et des diamants qui seraient
capables de faire bien des conversions dans certain petit monde de
Paris. Les bayadères couvertes, elles aussi, d'or et de pierreries,
impriment un mouvement gracieux et rythmé à leurs éventails
en plumes de paon. L'une d'elles chante je ne sais quoi, probable-
ment les louanges du dieu, avec une petite voix cristalline qui fait
mal aux nerfs ; ses compagnes lui répondent en chœur. Le prêtre,
en bonnet persan, semble avoir sommeil et soupirer après la fin du
septième tour. Du côté de la mer, la brise se lève, tiède et cares-
sante comme l'haleine d'une vierge amoureuse et nous apporte par
bouffées les enivrants parfums des campagnes orientales ; les
lucioles,lanternes allumées, se poursuivent dans les grands arbres;
 c'est la nuit.
  Si le lecteur, mis en appétit de carnage par les blagues de Méry,
Jacolliot et consorts, cherche dans cette fin de chapitre des chasses
aux tigres et aux éléphants, il fera sagement de ne pas en com-
mencer la lecture. Possesseur d'armes insuffisantes, de mauvais
yeux, de jambes peu aptes à la fatigue et, d'ailleurs, sans la
moindre étincelle de feu sacré, j'ai mis tous mes soins, pendant