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NOUVEAUX SOUVENIRS DE PONDIGHÉRY 39 toutes leurs formes et avec tous leurs attributs. Ceux-ci n'ont rien à envier au Priape ni au Phallus, et Panurgey aurait largement trouvé de quoi rebâtir à sa guise les murailles de Paris. De chaque côté du char pend un câble très long et d'une grosseur énorme. Quand l'idole est placée et que le Brahme chargé de diriger la cérémonie a reconnu l'heure faste et les présages favorables, il donne un signal. Aussitôt une immense clameur s'élève, le canon éclate, le tam-tam résonne, les trompes sacrées mugissent. Sous l'effortde plusieurs milliers de bras, les câbles se tendent et le char s'ébranle dans un tourbillon de poussière. Mais ce n'est pas du premier élan que la résistance est vaincue, les bras lassés retom- bent et se relèvent bien des fois avant le premier tour de roues. L'attelage m'a semblé d'ailleurs animé d'une ferveur médiocre, et je crois que la promenade du char deviendrait problématique sans l'intervention des pions de police qui poussent les Indiens aux câbles, comme les sergents de ville de chez nous poussent les citoyens à la chaîne dans les incendies. Nous sommes loin du temps où des fanatiques faisaient de leurs corps une litière à l'idole et la remerciaient de mourir dans les saintes tortures de l'écrasement. Les dieux.de l'Inde s'en vont comme tant d'autres ! Je n'en ai plus douté après avoir vu les fakirs couchés aux portes de la pagode. Un de ces ascétiques personnages était l'objet d'une vénération parti- culière. Il avait, paraît-il, fait vœu de perpétuelle immobilité. Le visage barbouillé suivant le rite, les yeux fixes, les bras collés au corps, il rappelait à s'y méprendre une momie égyptienne encore blanche de la poussière des pyramides. Les fidèles étaient émer- veillés, et les aumônes lui pleuvaient. Malheureusement pour le sérieux de la scène, mon chien, un libre penseur au poil fauve, fit un geste offensif au-dessus de cette tête immobile; immédiate- ment les deux mains se levèrent et se joignirent en guise de p a r a - pluie. Le moine avait violé son vœu. Les dieux s'en vont, et je vois poindre le jour où les Offenbach du cru les mettront dans des opéras bouffes. « Le dieu Brahma qui s'avance, ma qui s'avance. » Le lendemain, au crépuscule, la foule s'était réunie sur les bords de l'étang sacré, une sorte d'immense réservoir en forme de carré avec sept rangées de gradins circulaires. Sur l'eau dormante et noire des ablutions de la veille, repose un radeau surmonté d'une