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                MOLIÈRE A LOUIS XIV.                         399

Par les tourments de l'ame et du corps, Abeilard
Acquittant la rançon de l'amour et de l'art ;
Dante, plus inspiré que le trépied de Delphes,
Aux Gibelins ingrats rejeté par les Guelfes
Torquato, Camoëns, sous un astre fatal,
Crayonnant leurs chefs-d'œuvre aux murs d'un hôpital ;
Shakspeare, Eschyle anglais, que John Bull idolâtre,
Rôdant, la poche vide, autour de son théâtre ;...
Et, dédaigné de tous, dans Londre encor, dit-on,
Un Homère s'éteint qu'on appelle Milton !...
Et, dans les autres arts, combien d'autres exemples
De ces mortels sacrés qui méritaient des temples,
Et qui, pour se défendre et du froid et du chaud,
N'ont obtenu des lois que l'abri d'un cachot !...

Sire, les nations ne seront plus complices
(Et la France surtout) de ces lâches supplices.
Le génie, en plein jour, aura la liberté
De grandir et d'atteindre enGn sa puberté ;
Louis ainsi l'ordonne. — Il sait que la victoire,
Sans le secours des arts, meurt au seuil de l'histoire ;
Que, malgré la sottise au rire dénigrant,
Sans grands hommes pour base aucun règne n'est grand ;
Et qu'un chant de poète, armé de beaux présages,
Protège un nom de roi jusques au fond des âges. —
Mais si les hommes forts, par les siècles requis,
A la proscription n'ont plus de droits acquis,
Les malheurs ne sont pas supprimés, et j'affirme
Que l'on peut être encor ruiné, vieux, infirme....
Bien des talents blanchis ont l'oubli devant eux,
Et la gloire elle-même a ses pauvres honteux !
L'un a gagné de l'or qu'il ne conserve guères
— Le génie est souvent très gauche aux soins vulgaires ; —
L'autre, à ses rêves bleus esprit abandonné,
N'a su rien acquérir... Un autre a tout donné.
Vertus comme défauts coûtent cher aux artistes ;