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212 DE LA CHUTE DE L'HOMME Celte hypothèse de l'extinction totale de la liberté, suppose en outre que le mal n'a pas seulement blessé l'être spirituel mortellement, mais qu'il l'a mis à mort. En ce cas, ce ne se- rait pas seulement la grâce que Dieu lui enverrait, ce serait l'existence tout entière. Donner à un être l'existence, c'est supposer qu'il n'existait pas ; de sorte que l'être qui avait été dé- gradé a disparu, et Dieu a reproduit une autre créature ; alors cette nouvelle créature n'a aucun rapport avec la créature dis- parue, dont il ne nous reste qu'un souvenir dans l'histoire. Aussi, Calvin, très conséquent, a-t-il dit : « L'homme ne re- çoit tout ce qui se rapporte à la vie bienheureuse de famé, que dans la nouvelle création de Jésus-Christ (1). » Cette doctrine détruit l'identité du moi humain. Le nouvel homme peut-il se repentir du mal qu'il n'a pas fait; peut-il supporter la peine du péché qu'il n'a pas commis; et peut-il s'occuper de détruire un mal qui n'est pas en lui ? Il y a des gens qui veulent fonder des religions, et qui commencent par rendre inutile toute religion,.. Une nouvelle créature sortie des mains de Dieu ne peut être que telle qu'elle doit être; si elle est dans l'état normal, elle n'a pas besoin de réparation. Les deux conséquences de celte hypothèse étant également fausses, il ne reste plus que l'évidence du fait, à savoir que l'homme n'a pas perdu toute liberté, puisqu'il aurait été par là même anéanti, mais qu'il a perdu, comme l'ont établi d'ailleurs les conciles : « La puissance naturelle de bien agir, pour conserver la puissance naturelle de mal agir. » En d'au- tres termes, sa volonté a changé de direction. Etant sorti de la voie de l'absolu, l'homme est entré avec les animaux dans la voie de la nature, contrairement à ses fins. Ainsi, nier qu'il soit resté à l'homme quelque liberté, c'est nier qu'il lui soit resté quelqu'existence ; si peu qu'on (t) Calvin, Instit. 1. III, c. 29.