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                    MADEMOISELLE DE MAGLAND.                       22 i
   à se décider à m'admettre. Les immenses fourrés de genêt, qui
   avaient valu à l'habitation sa poétique dénomination , avaient été
   arrachés et remplacés par un abondant jardin potager, une lessive
   séchait suspendue aux beaux arbres de l'avenue : tout portait l'em-
   preinte des goûts bas et mesquins de la nouvelle propriétaire. Au
   lieu de la foule de serviteurs empressés qu'on rencontrait naguère
  à chaque pas, partout régnait un silence et une solitude monacales.
  Je parvins jusqu'à la maison sans avoir rencontré personne ; enfui
  une vieille servante parut et m'introduisit dans la salle à manger,
  où Raoul déjeunait en tête à tête avec sa femme. Malgré ce que j'a-
  vais appris la veille, j'eus quelque peine à me figurer que l'homme
  que j'avais devant les yeux était le beau, l'élégant Raoul d'autre-
  fois. Sa toilette, d'un laisser-aller incroyable, montrait clairement
  que sa jeunesse commençait à être compromise par un menaçant
  embonpoint ; ses mains halées, ses ongles négligés, ses cheveux
 gras et mal disposés, étaient fort en harmonie avec ses gros souliers
 terreux, et sa veste exécutée par quelque Sthulz de banlieue, dont
 les coutures éclataient sur ses épaules arrondies. Sa femme avait
 sur la tête un foulard à demi noué, et une vieille douillette dont les
 reflets luisants et graisseux attestaient les longs services ; j'eus le
 temps de saisir tous ces détails avant que tous deux fussent revenus
 de la surprise que ma visite leur causait. Raoul m'accueillit avec
 cordialité et Alix essaya de grimacer un sourire de bien venue,
 mais je retrouvai dans son expression le souvenir encore chaud do
la manière dont nous nous étions quittés trois ans auparavant. Après
quelques instants de conversation générale, Baudéaut me proposa
 une promenade que j'acceptai avec empressement. Il me tardait de
voir par moi-même jusqu'à quel point cette belle organisation avait
été abrutie. En sortant du salon, j'offris un cigarre à Raoul. —
Merci, je ne fume plus ; ma femme craint l'odeur du tabac ; et dans
sa bouche, ces mots : « ma femme, » dont je ne peux rendre l'ex-
pression qu'ainsi : ma fââme, prenaient une emphase et une pro-
portion vraiment risible. — Ah! dis-je, tu as renoncé au cigarre,
t'es-tu converti au musc? — Mais, dit-il, avec un peu d'embarras,
c'est une odeur fort saine, je t'assure. — Je n'insistai pas, je com-
pris que le mal avait fait de grands progrès; en traversant la ter-