Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
page suivante »
                  MADEMOISELLE: DE MAGLAND.                       233

miennes, elle voulut endurer ce supplice jusqu'au bout; nous ne
nous retirâmes qu'après le départ de Raoul.
    Lorsque nous fûmes dans la voiture, Auguste dit tout bas à Marie :
— Que je suis heureux de vous voir si forte et si courageuse ! —
J'avais tant redouté sa présence que j'en avais peut-être un peu usé
l'effet, répondit-elle doucement ; mais quand nous fûmes seules, elle
ne put se contenir plus longtemps, elle éclata en larmes et en san-
glots : jamais son désespoir n'avait eu un accent si âpre et si fa-
rouche ; j'ai encore dans k's nerfs les cris que lui arrachait l'excès
desadouleur.—O mon Dieu! s'écriait-elle avec un accent déchirant,
combien mon cœur est lâche ! mais je suis donc sans force, sans vo-
lonté? Si une pareille épreuve devait se renouveler, j'en mourrais !
Les anges eux-mêmes se révolteraient, si on les condamnait à un sem-
blable supplice ! Vous m'avez cru du courage, Sara, eh bien ! j'étais
en proie à une véritable agonie ! Pendant cette fatale soirée, j'ai
épuisé toutes les tortures ! J'éprouvais un sentiment de terreur
douloureuse qui me paralysait. Mes idées flottaient brisées; je n'en-
 tendais sa voix que vaguement, mais je comprenais à l'horrible
contraction de mon cœur qu'il était là !
   Cette cruelle scène dura longtemps, jamais plaintes plus lamen-
tables ne sortirent d'un sein plus cruellement blessé. Ce dut être
pour l'infortunée un coup plus terrible encore que celui qui l'avait
déjà frappée, quand Raoul lui apparut si différent de l'image que son
cœur adorait en silence ! A ce rude passage de ses rêves à la réalité,
il lui sembla que la douleur qu'elle croyait avoir épuisée se révélai!
à elle pour la première fois ; mais nul n'a reçu la confidence de celle
amère déception, rien dans l'explosion de sa douleur n'a décelé le
regret d'avoir tant souffert pour un homme si peu sérieux. Sans
doute, ne pouvant plus s'abuser elle-même, elle s'est imposée comme
un devoir de cacher sa misère à tous les yeux ; plus de plaintes ni
d'épanchement : les abîmes tourmentés de son ame se cachent sous
une sorte de courage sombre et muet ; elle se renferme dans une
douleur sans haine et sans plainte. Son cœur se brisera sans qu'un
soupir s'en échappe, mais cette lutte sourde, occulte, opiniâtre, ne
 détruit pas l'amour qui règne en despote dans son cœur; pour elle
 a chaîne se (ord, mais ne se brise pas, car le caractère de l'amour