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224 MADEMOISELLE DE SIAGLAND. l'amour éteint, et qu'un homme aimait encore avec sa conscience, quand il avait cessé d'aimer avec son cœur. Combien j'avais tort de le plaindre, quand il a perdu Marie ! Ce n'élait pas l'amour qui souf frait en lui, c'était l'égoïsme; ses passions ont l'haleine courte et le vol bas ; après les premiers coups d'ailes, elles retombent essouf- flées. L'heure de l'office venait de sonner, et tous les domestiques s'a- cheminaient vers la chapelle, nous les suivîmes ; là , je pus me con- vaincre que l'intelligence élevée de Raoul avait subi de rudes at- teintes ; lui que j'avais vu véritablement pieux, n'était plus que dévot.—Je croyais me souvenir, lui dis-je en sortant de la cha- pelle, que tu partageais autrefois mon opinion sur les pratiques machinales et routinières des exercices religieux ; « l'ame som- meille, disions-nous, pendant la lecture des prières liturgiques, et ne peut pas trouver ces élans de ferveur et de foi, que nous au- tres gens, maudits par les dévots, trouvons au fond de notre cœur quand la joie ou la douleur le porte vers Dieu. » Nous étions des raisonneurs alors, aujourd'hui je pense que, hors de l'église, il n'y a pas de salut. — Je ne trouvai rien à répliquer et je me tus ; c'est une chose presque incroyable que la révolution qui s'est opérée chez Raoul ; subjugué par la nature vulgaire de sa compagne, il n'a conservé de lui-même que son regard intelligent ; ce front où toutes les impressions se dessinaient si brusquement, ces mouvements passionnés qui trahissaient ses moindres pensées, tout cela est morne, allangui ; nulle émotion ne se réfléchit sur son visage ; il semble maintenant tout à fait étranger à la vie morale. C'est avec consternation qu'on est forcé de s'avouer que l'exercice de cer- taines vertus, de celles que le monde prise le plus, paralyse l'ame au lieu de l'élever. Triste et peiné de tout ce que je voyais, je n'abusai pas long- temps de l'hospitalité du Genêt ; le même soir j'étais de retour au Pré-de-Vert. — Eh bien ! me dit le pasteur en venant au devant, de moi ; — eh bien ! répondis-je, ce sera un rude coup pour Marie si elle revoit Raoul. —Je le crois, répondit-il ; on ne s'accoutume pas à l'idée que celui qu'on adorait comme un Dieu n'est qu'un simple mortel ; l'amour alors devient un supplice de damné.