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372 leur la voie, ils la suivront. Ce n'est pas le ridicule qu'il faut remuer alors ; il existe partout, il suinte par tous les pores du désordre social. Pour guérir le vice, il faut montrer ce qu'est la vertu ; pour chasser le ridicule, employez le sublime. Aux époques de corruption , quand le pouvoir est au som- met de la licence , c'est le ridicule qui arrive avec ses trois formes aussi, poème b u r l e s q u e , c o m é d i e , c h a n s o n , ronde infernale et grotesque, qui fait tourner la tête à la puissance, et ne cesse que lorsque celle-ci est tombée ivre-morte à ses pieds. On pourrait dire du ridicule qu'il d é c o m p o s e , qu'il analyse; comme on pourrait dire du sublime, qu'il compose, qu'il synthétise. En Espagne, Cervantes, Caldéron ; en Italie, l'Ariote, Bocacio ; en F r a n c e , Rabelais, Molière , Béranger ; tous semblent être accourus au moment où la corruption de certaines classes a atteint son point e x t r ê m e , et où il est nécessaire d'extirper de l'arbre social les plantes parasites, sous peine de les voir mourir, et bientôt l'arbre renouvelle sa verdure et porte de nouveaux fruits. Pour rire des ridicules de ses semblables, il faut être à peu près heureux ; or, nul ne peut se dire heureux et Iran- quille dans les temps de crise et de rénovation. Tout tremble; on sent plus le besoin de se serrer en masse compacte au- tour d'une même p e n s é e , d'un même drapeau; on sent plus ce besoin d'union , dis-je, que celui de rire les uns les autres de ses propres misères. Il peut paraître extraordinaire de ne parler ni de Racine, ni de Corneille, à propos du drame. Cependant qu'on exa- mine l'influence de ces génies, et l'on s'assure qu'elle a lieu dans la l a n g u e , et non dans la société ; que pouvaient-ils dire à cette dernière agenouillée devant les maîtresses et les favoris de ses rois ? Différence bien sensible entre eux et Shakespeare, Milton et Byron. Ceux-ci ont pris corps à corps le p e u p l e , et ils lui ont inspiré les sentiments qui les ani- maient. Venus en temps plus opportun que nos tragiques , ils ont trouvé des âmes toutes prêtes à recevoir une impul-