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50 C'est pourquoi je viens suspendre ma vieille toile, un portrait, une figure grave et mélancolique; je viens, à côté de nos marbres si polis, si éclatants, mettre une antique statue, un buste enfoui que j'ai essayé de regrat- ter sans en altérer les formes. Ce nom de Pic de la Mirandole, le hasard me l'a fait rencontrer dans une biographie, dans un de ces réper- toires, vrais livres de l'humanité, car elle s'y montre sous toutes ses faces ternes ou brillantes, car elle y est repré- sentée dans son unité éternelle et dans sa variété pro- gressive, la mort y ajoutant chaque jour quelques noms. C'est le rendez-vous des célébrités du Crime et de la vertu, où l'ordre alphabétique, dans sa fantaisie inflexible et ré- gulière, se joue de l'ordre des temps, sépare les génies les plus semblables, et sème, çà et là , au milieu des grands coupables, les hommes de Dieu et de l'humanité, comme si, dans cette Nécropolis, dans cet autre cimetière, toutes les distinctions devaient être effacées, même les plus lé- gitimes. C'est un livre où, pour posséder une demi-page, comme Napoléon le disait d'une histoire universelle, il faut avoir fait de grandes choses, et cependant que de noms ignorés y sont enfouis. Pour un grand nombre, c'est bien le livre des morts 3 le feuillet qui les couvre semble aussi pesant et les cache aussi bien que la pierre des tom- beaux, dont le voyageur du moins, tandis qu'il se repose, cherche quelquefois à déchiffrer l'épitaphe. Leurs vertus et leurs vices sont vite oubliés, car les hommes se lassent d'admirer ou de maudire : là haine leur pèse comme la reconnaissance. D o n c , parmi ces hommes inconnus, j'ai abordé Pic de la Mirandole, d'abord comme un étranger, par vague curiosité et avec une certaine froideur; mais lorsqu'à tra- *