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manquait essentiellement de calme, et n'avait pas la me-
sure et la proportion dans les rapports de la vie. Son coup
d'oeil, si vaste et si pénétrant au-delà, ne savait pas ré-'
duii-e les objets habituels. Son esprit immense était le plus
souvent comme une mer agitée ; la première vague sou-
daine y faisait montagne ; le liège flottant ou le grain de
sable y était aisément lancé jusqu'aux cieux.
   Malgré le préjugé vulgaire sur les savants, ils ne sont
pas toujours ainsi. Chez les esprits de cet ordre et poul-
ies cerveaux de haut génie, la nature a, dans plus d'un
cas, combiné et proportionné l'organisation. Quelques-
uns , armés au complet, outre la pensée puissante inté-
rieure, ont l'enveloppe extérieure endurcie, l'œil vigilant
et impérieux , la parole prompte, qui impose , et toutes les
défenses. Qui a vu Dupuytren et Cuvier comprendra ce
que je veux rendre. Chez d'autres , une sorte d'ironie
douce , calme, insouciante et égoïste, comme chez La-
grange , compose un autre genre de défense. Ici , chez
M. Ampère, toute la richesse de la pensée et de l'organi-
sation est laissée, pour ainsi dire, plus à la merci des choses,
et le bouillonnement intérieur reste à découvert. Il n'y
a ni l'enveloppe sèche qui isole et garantit, ni le reste
de l'organisation armée qui applique et fait valoir. C'est
 le pur savant, au sein duquel on plonge.
    Les hommes ont besoin qu'on leur impose. S'ils se sen-
 tent pénétrés et jugés par l'esprit supérieur auquel ils ne
 peuvent refuser une espèce de génie, les voilà maintenus,
 et volontiers ils lui accordent tout, même ce qu'il n'a pas.
 Autrement, s'ils s'aperçoivent qu'il hésite et croit dépen-
 dre, ils se sentent supérieurs à leur tour à lui par un point
 commode, et ils prennent vite leur revanche et leurs li-
cences. M. Ampère aimait ou parfois craignait les hommes ;