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215 le ton le plus simple et le plus facile pour tous. Il fallait même l'observer de bien près pour deviner en l'écoutant la profondeur de son génie. A ce propos, il nous revient en mémoire une anecdote assez remarquable et très-propre à montrer la réalité de notre observation. À l'époque où A.-L. de Jussieu conduisait les herborisations rurales, son nom seul, on le pense bien , attirait à ses leçons une foule de personnages distingués. Parmi ses élèves les plus célèbres, il en était un qui ne lui fit jamais grand hon- neur, mais qui pourtant suivait avec une fort grande assiduité quelques-unes de ses courses botaniques, celles de Saint- Gratien et de Montmorency surtout ; c'était J.-J. Rousseau. Probablement l'auteur des Confessions devait être trop oc- cupé de lui-même pour se bien occuper des autres ; cepen- dant il voulut juger son professeur, et après l'avoir accom- pagné plusieurs années de suite à l'entour de son hermitage, il écrivit à quelqu'un, « que M. de Jussieu était certainement « un excellent botaniste, fort instruit dans le détail de sa « science, mais incapable de jamais rien entreprendre, en fait « de généralité. » Peu de temps après, A.-L. de Jussieu pu- blia son Gênera Plantarum. Mais revenons à Yanteuil, où le bon vieillard terminait son admirable carrière d'une manière si douce et si heureuse. Ses sens étaient déjà bien affaiblis, à l'époque dont nous par- lions tout à l'heure. Sa vue le servait fort mal; l'œil droit particulièrement épuisé par l'usage de la loupe, demeurait tout-à -faita aveugle, et., en dépit de ces mauvais instruments extérieurs, l'habile professeur savait encore reconnaître au moindre signe les plantes qu'il trouvait sur son chemin. Un jour, assis sur un banc de bois, dans une prairie voisine de la maison de Yanteuil, il promenait ses mains autour de lui, pour saisir quelque objet de ses chères études. Sous le banc même, croissait une fleur rare pour ces contrées ; le docte aveugle la rencontre, la touche , et du doigt seul, en recon-