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retour triomphal des meurtriers d'Istria. Tout d'abord, l'exercice de la police, dont
l'incapacité s'était manifestée d'une façon si évidente, devint de plus en plus illusoire.
Les agents de cette administration, irrégulièrement payés de leurs maigres traite-
ments, terrorisés eux aussi par une organisation occulte infiniment plus puissante que
la leur, ne faisaient à peu près aucun service. Parmi eux, d'ailleurs, se trouvaient de
véritables complices de la sinistre « Compagnie », tel le commissaire François Perrus-
sel, incarcéré au commencement de l'an VI et détenu longtemps à Paris à la prison de
la Force, qui n'échappa que par un acquittement scandaleux du tribunal criminel de
la Haute-Loire au châtiment qu'il avait plusieurs fois mérité. Quant au Bureau cen-
tral, servi par de tels auxiliaires, il était réduit à l'impuissance la plus complète. Le
plus intelligent de ses membres, le pelletier Vingtrinier, ne prenait plus aucune part à
ses travaux. Obligé de fuir une première fois en Suisse pour se soustraire aux menaces
de mort dont il était sans cesse l'objet, il avait pris de nouveau le parti de se cacher
pour échapper à la rage de Storkenfeld et de ses acolytes, excités encore contre lui
par les diatribes du journaliste Pelzin. Ses deux collègues offraient bientôt leur démis-
sion au ministre de la police, lequel, du reste, ne sachant qui nommer à leur place,
s'empressait de la refuser.
      Aussi, presque chaque jour un nouveau crime, un nouveau scandale s'ajoutaient-
ils à ceux de la veille. Leur bilan détaillé fait partie de l'histoire des « Compagnons de
Jésus » : ce n'est donc pas le lieu de l'entreprendre ici. Qu'il suffise de dire que,
jusqu'à la veille du 18 fructidor, on assomma, on poignarda sans relâche à Lyon.
Lorsque les coups portés avaient déterminé la mort, on envoyait la victime « voyager »
sur le Rhône ou la Saône : certaines d'entre elles, encore vivantes, furent assommées
dans l'eau alors qu'elles tentaient de regagner la rive. Le Réveil du Peuple, le « chant
assassin » comme on l'appelait alors, interdit le 18 nivôse an IV par un arrêté du
Directoire, retentissait chaque nuit dans les rues :
                     Guerre à tous les agents du crime !
                     Poursuivons-les jusqu'au trépas ;
                     Partage l'horreur qui m'anime,
                     Ils ne nous échapperont pas !
     Et, au jour, la devanture de quelque boutique appartenant à un commerçant
qualifié de « mathevon », apparaissait barbouillée de sang. Storkenfeld et Pin prenaient
une part active à tous ces méfaits, forts de leur acquittement et de la terreur qu'ils
inspiraient.
     Cela continua ainsi jusqu'en messidor an V, jusqu'à l'arrivée à Lyon du général
Kellermann, commandant de l'armée des Alpes, c'est-à-dire pendant près d'une
année! Le 3 du même mois, Storkenfeld mettait le sceau à ses forfaits. Rencontrant le
maréchal des logis Harel, du 9e dragon, qu'il poursuivait de sa haine depuis l'affaire de
l'hôpital, celui-là même qui l'avait arrêté lors de l'assassinat d'Istria, il lui portait deux
coups d'une épée renfermée dans une canne et il le blessait grièvement à l'épaule et au
ventre. On réussit à se rendre maître de sa personne. Malgré sa rage et celle de ses
amis, il fut impuissant, cette fois, grâce à l'énergie de Kellermann, à recouvrer sa