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 que l'un d'eux, qui remplissait en même temps les fonctions d'exécuteur des juge-
 ments criminels, dut s'enfermer pendant quatre jours dans la prison, de crainte d'être
 assommé en se rendant chez lui. Il prit ensuite le parti de quitter Lyon et il se tint
 caché aux environs jusqu'à ce que des gendarmes, envoyés à sa recherche, le rame-
 nassent à son poste.
       Enfin, un audacieux projet d'enlèvement des prisonniers n'échoua que grâce à la
 circulation dans certains quartiers de la ville d'importantes patrouilles d'infanterie.
 Dans la nuit du 28 au 29 messidor, plusieurs maisons devaient être attaquées en même
 temps sur des points assez éloignés les uns des autres. La force armée s'y porterait,
 pensaient les conjurés, et pendant ce temps ceux-ci devaient se rendre aux prisons
 avec des haches, des leviers et des crics pour enfoncer les portes... Toutes les autorités
 étaient donc sur les dents. Le général Elie, le commissaire du Directoire Paul Cayre,
les membres du Bureau central réclamaient sans cesse des renforts de troupes au
 ministre de la guerre et à celui de la police générale. Ils sollicitaient tout au moins le
remplacement de la garnison, de nombreux militaires ayant, en raison de leur séjour
prolongé à Lyon, des relations suspectes avec les « Compagnons de Jésus ». Mais
toutes ces demandes restaient vaines : les troupes étaient plus indispensables à l'armée
 des Alpes qu'à la place de Lyon.
      Pendant que l'ordre n'était assuré en cette ville que d'une façon aussi dangereuse-
 ment précaire, l'autorité judiciaire s'efforçait, de son côté, d'instruire le procès des
assassins d'Istria. Mais elle n'y parvenait qu'à grand' peine. Comme d'habitude,
personne ne voulait déposer, dans la crainte de subir le sort du Corse. Les membres
du jury d'accusation recevaient par écrit des menaces ainsi libellées : « Tu es juré dans
l'affaire de l'hôpital : la liberté de tous les prévenus ou la mort pour toi ! », pendant
qu'une affiche, placardée sur les murs de la ville, annonçait la condamnation à mort de
cent sept citoyens. Le directeur du jury lui-même hésitait, en fin de compte, à remplir
son devoir. « Si les assassins d'Istria sont jugés à Lyon, écrivait-on au ministère, on
parviendra à les tirer des mains de la justice, ou la justice les innocentera. Déjà on
avait séduit la garde, qui a reçu trente louis d'or pour favoriser leur évasion ; un trou
avait été pratiqué dans le mur de la prison où ils sont détenus. De la punition de ces
assassins dépend la sûreté des citoyens de cette ville, car s'ils échappent à la peine
qu'ils méritent, les sicaires enhardis ne connaîtront aucun frein. — La sûreté publi-
que se trouvant compromise, le tribunal de cassation devrait, conformément à l'article
254, n° 2, de la Constitution, envoyer les prévenus par devant un tribunal autre que
celui de Lyon ».
      C'est à ce dernier parti que se résolut le gouvernement. Le tribunal de cassation,
saisi d'une demande de renvoi pour cause de sûreté publique, décida que les prévenus
seraient déférés au jury d'accusation du département de l'Ain, séant à Châtillon-sur-
Chalaronne. Le 16 fructidor, tous cinq étaient traduits, escortés par quatre cents
hommes de troupe, dans les modestes prisons de la petite ville des Dombes. Et, dès ce
jour, recommença là-bas, auprès des bourgeois et des paysans timorés chargés de la
magistrature populaire, la campagne effrénée d'intimidation entreprise à Lyon pour
assurer l'impunité aux assassins.