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— 119 — que l'un d'eux, qui remplissait en même temps les fonctions d'exécuteur des juge- ments criminels, dut s'enfermer pendant quatre jours dans la prison, de crainte d'être assommé en se rendant chez lui. Il prit ensuite le parti de quitter Lyon et il se tint caché aux environs jusqu'à ce que des gendarmes, envoyés à sa recherche, le rame- nassent à son poste. Enfin, un audacieux projet d'enlèvement des prisonniers n'échoua que grâce à la circulation dans certains quartiers de la ville d'importantes patrouilles d'infanterie. Dans la nuit du 28 au 29 messidor, plusieurs maisons devaient être attaquées en même temps sur des points assez éloignés les uns des autres. La force armée s'y porterait, pensaient les conjurés, et pendant ce temps ceux-ci devaient se rendre aux prisons avec des haches, des leviers et des crics pour enfoncer les portes... Toutes les autorités étaient donc sur les dents. Le général Elie, le commissaire du Directoire Paul Cayre, les membres du Bureau central réclamaient sans cesse des renforts de troupes au ministre de la guerre et à celui de la police générale. Ils sollicitaient tout au moins le remplacement de la garnison, de nombreux militaires ayant, en raison de leur séjour prolongé à Lyon, des relations suspectes avec les « Compagnons de Jésus ». Mais toutes ces demandes restaient vaines : les troupes étaient plus indispensables à l'armée des Alpes qu'à la place de Lyon. Pendant que l'ordre n'était assuré en cette ville que d'une façon aussi dangereuse- ment précaire, l'autorité judiciaire s'efforçait, de son côté, d'instruire le procès des assassins d'Istria. Mais elle n'y parvenait qu'à grand' peine. Comme d'habitude, personne ne voulait déposer, dans la crainte de subir le sort du Corse. Les membres du jury d'accusation recevaient par écrit des menaces ainsi libellées : « Tu es juré dans l'affaire de l'hôpital : la liberté de tous les prévenus ou la mort pour toi ! », pendant qu'une affiche, placardée sur les murs de la ville, annonçait la condamnation à mort de cent sept citoyens. Le directeur du jury lui-même hésitait, en fin de compte, à remplir son devoir. « Si les assassins d'Istria sont jugés à Lyon, écrivait-on au ministère, on parviendra à les tirer des mains de la justice, ou la justice les innocentera. Déjà on avait séduit la garde, qui a reçu trente louis d'or pour favoriser leur évasion ; un trou avait été pratiqué dans le mur de la prison où ils sont détenus. De la punition de ces assassins dépend la sûreté des citoyens de cette ville, car s'ils échappent à la peine qu'ils méritent, les sicaires enhardis ne connaîtront aucun frein. — La sûreté publi- que se trouvant compromise, le tribunal de cassation devrait, conformément à l'article 254, n° 2, de la Constitution, envoyer les prévenus par devant un tribunal autre que celui de Lyon ». C'est à ce dernier parti que se résolut le gouvernement. Le tribunal de cassation, saisi d'une demande de renvoi pour cause de sûreté publique, décida que les prévenus seraient déférés au jury d'accusation du département de l'Ain, séant à Châtillon-sur- Chalaronne. Le 16 fructidor, tous cinq étaient traduits, escortés par quatre cents hommes de troupe, dans les modestes prisons de la petite ville des Dombes. Et, dès ce jour, recommença là -bas, auprès des bourgeois et des paysans timorés chargés de la magistrature populaire, la campagne effrénée d'intimidation entreprise à Lyon pour assurer l'impunité aux assassins.