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_ 3 — l'ardeur du fleuve libre de toute entrave, et le Rhône submerge fréquem- ment ses deux rives, couvrant et découvrant ces nombreux bancs revêtus d'oseraies qui parsèment son cours et qui s'appelleront bientôt d'un nom qui ne disparaîtra plus, celui de « broteaux » *. Pour qu'une ville puisse se constituer à l'abri de ce fleuve redouta- ble, dans ces vallées étroites et souvent inondées, sur ce sol incertain domi- né par des collines abruptes, il faudra que l'homme parvienne à vaincre la nature. Mais l'avenir d'une ville ne dépend pas seulement de sa situation géographique : il est déterminé aussi par les circonstances historiques. Or, si l'on embrasse d'un regard les événements qui se sont accomplis à Lyon jusqu'au milieu du dix-septième siècle, on constate qu'entre deux périodes exceptionnelles — l'époque romaine et le seizième siècle — où la ville, favorisée par des conditions particulières, parut sur le point d'épuiser ses possibilités de tout ordre, il s'est écoulé treize cents années, correspondant au moyen âge presque entier, qui furent au contraire pleines d'infortunes. Il se produisit alors, succédant à une aube merveilleuse, une crise de misère, qui ne cessa qu'au moment où Lyon, devenu par un brusque revirement la capitale du commerce, de la finance et de la pensée française, acquit la physionomie qui devait en faire, au temps de Louis XIV, l'une des plus originales et agréables villes du royaume. jamais existé de canal naturel — ou artificiel — réunissant le Rhône à la Saône en suivant le pied de la colline de la Croix-Rousse à travers les Terreaux (cf. Vermorel, les Fortifications de Lyon au moyen âge, dans Revue lyonnaise, mars 1881). Ensuite il y a accord entre les meilleurs érudits pour placer le primitif confluent un peu au-dessus de Bellecour (Allmer, Inscriptions antiques, t. II, p. 45; de Montauzan, les Aqueducs de Lyon, p. g). Deux textes de Grégoire de Tours permettent d'être affirmatif à ce sujet. Dans l'un (Hist. eccl., II, 9), Grégoire dit que le Rhône est « adjacent à la cité de Lyon » ; dans l'autre (H. eccl,, V, 33), il raconte qu'en 580 « le Rhône réuni à la Saône, débordant ses rives..., renversa en partie les murs de la cité de Lyon ». Comme les murs dont parle Grégoire sont ceux de la ville romaine qui étaient situés sur la rive droite de la Saône actuelle (voir plus loin), il résulte forcément de ce double témoignage qu'au sixième siècle encore, une partie du lit actuel de la Saône à Lyon, qui ne peut être que la partie méridionale, était occupée par le Rhône. Or la jonction, qui d'après cela devait bien tomber vers Bellecour, ne pouvait se faire à angle droit. On est ainsi amené â adopter un tracé oblique partant des Cordeliers. (Cf. Marius Audin, le Confluent, Lyon, içrg, avec carte). 1. Aucun texte antérieur au moyen âge ne permet de se représenter l'aspect du cours du Rhône à travers Lyon, et ne parle par conséquent des brotteaux ; mais au moyen âge, plusieurs chartes y font allusion. Après que le Rhône a été rejeté à Ainay, il est parlé à plusieurs reprises des brotelli Rodani, des brotelli saliceti (Grand Cartulaire d'Ainay, 1.1, n° 346, ann. 1260 ; n° 190, ann. 1264), et même d'une mouille (mol- liam Rodani) (II, n° 46, ann. 1337), dans la partie du cours du fleuve allant du pont de la Guillotière au confluent. Une charte de 1356 s'exprime ainsi : QuatenusfluviusRodani se extendit et in rippis ejusdem ab utraque parte necnon et in silvis, brotellis et insulis (Cartulaire desfiefs,n° 57). Dès qu'apparaissent d'ailleurs les premières vues de Lyon, cet aspect, qui remonte sans aucun doute aux débuts de la période historique, se trouve confirmé.