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— 116 — aucune indication sur l'auteur de l'agression. Celui-ci ne devait pourtant pas se trou- ver parmi les hôtes de l'hôtel du Parc au moment de l'orageuse discussion de la veille, car le blessé l'aurait certainement reconnu et son identification aurait été facile. Le meurtrier, comme il était d'usage entre les membres de la sinistre compagnie, avait dû être désigné dans la nuit par ses amis pour exécuter l'arrêt de mort porté contre Istria, et il avait docilement exécuté le crime dont le sort peut-être l'avait chargé. Les attentats de tous genres contre les personnes étaient alors si fréquents, le Rhône et la Saône étaient dépositaires de tant de tragiques secrets et leurs riverains d'aval avaient si souvent l'occasion de pousser au fil de l'eau, pour s'éviter tout ennui, tant de cadavres mystérieux, qu'un meurtre à caractère politique de plus ou de moins n'était pas de nature à causer grand émoi parmi les Lyonnais, surtout lorsque la victime leur était étrangère. L'attentat du quai de Serin fit donc peu de bruit. La blessure d'Istria n'était d'ailleurs pas mortelle et la nouvelle de son rétablissement probable se répandit bientôt en ville. Les habitués de l'hôtel du Parc, toujours en éveil, ne furent pas des derniers à la connaître. Une nouvelle résolution, plus auda- cieuse que la précédente, fut prise aussitôt par eux et exécutée avec un féroce sang- froid. Cinq jours après l'agression meurtrière du quai de Saône, le 26 messidor, dans l'après-midi, au moment où le public était admis à visiter les malades, plusieurs indi- vidus pénétraient dans la grande salle du dôme, à l'Hôtel-Dieu, et se réunissaient, sans éveiller particulièrement l'attention, autour du lit d'Istria. Bientôt un cri déchi- rant mettait tout le monde en émoi : le malheureux Corse venait d'être frappé de nouveau d'un coup de stylet! Les cris : « A l'assassin! » poussés par les militaires hos- pitalisés, s'élevèrent dans une confusion générale dont profitèrent l'assassin et ses complices pour s'esquiver dans les corridors de l'immense édifice. Tandis que des assistants et des filles de service s'empressaient autour de la victime expirante, dont l'aorte avait été sectionnée, d'autres personnes se précipitaient à la porte d'entrée principale de l'hospice afin de prévenir le poste de garde. Le commandant faisait fermer les barrières pour empêcher toute sortie et, quelques instants plus tard, cinq individus suspects étaient appréhendés : l'un d'eux avait encore sur lui le fourreau du poignard ramassé auprès de la victime. Tous les cinq, formellement reconnus par les militaires de la salle du dôme, étaient solidement maintenus, puis conduits sous bonne escorte à la Maison Commune. D'autres complices, cependant, profitant de l'émotion des premiers instants, avaient eu le temps de fuir avant la fermeture des grilles. Cette fois, l'émotion fut profonde en ville. Les circonstances particulièrement révoltantes et tragiques dans lesquelles Istria venait d'être lâchement assassiné rem- plirent de stupeur toute la partie saine de la population et glacèrent d'effroi ceux qui se croyaient désignés aux vengeances thermidoriennes. L'organisation terroriste contre-révolutionnaire, dénoncée tant de fois, contre laquelle, l'année précédente déjà , la Convention, sur le rapport de Joseph-Marie Chénier, avait essayé de prendre, sans succès d'ailleurs, des mesures de prévention et de rigueur, s'affirmait désormais