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— 120 — Cette campagne réussit, comme il fallait s'y attendre. Annoncée par avance à grand bruit à Lyon par les amis et les parents des prévenus, une décision rendue le 7 vendémiaire an V par les jurés de l'Ain renvoyait d'accusation les cinq « Compagnons de Jésus » ! Ainsi que l'avait prévu le correspondant dont nous avons cité quelques lignes, les passions thermidoriennes — devant lesquelles tremblaient ou que feignaient d'ignorer les bourgeois embusqués derrière leurs comptoirs — ne connurent plus aucun frein à Lyon. Le retour des assassins d'Istria, après leur scandaleux acquitte- ment, donna lieu à une manifestation populaire dont l'impudeur atteignit un degré qu'on a peine à imaginer. Tout avait été préparé, par les nombreux amis des criminels, pour donner à ce retour le caractère d'une entrée triomphale, comme s'il s'était agi de fêter des héros. Et ce qu'il y a de plus déconcertant, c'est que les autorités, impuis- santes ou incapables, ne prirent aucune mesure pour empêcher un événement aussi menaçant pour l'ordre public qu'humiliant pour la seconde ville de France. Les mem- bres du Bureau central prétendirent l'avoir ignoré jusqu'au dernier moment : « Nous n'en fûmes instruits — disent-ils dans un rapport au ministre de la police générale — que par le fracas de son exécution ». Cette excuse d'une inertie qui pouvait être suivie des plus graves conséquences ne trouva guère créance auprès du ministre, lequel tança d'importance les administrateurs de la police lyonnaise. Depuis plusieurs jours, escomptant un acquittement préparé par leurs menaces, les « Compagnons de Jésus » organisaient à Lyon une réception à grande mise en scène pour leurs cinq affiliés. Un dîner avait été commandé sur les bords de la Saône pour fêter leur arrivée. De là partirait le cortège qu'une foule immense devait accueil- lir et suivre, puis acclamer dans son parcours à travers la ville en liesse. Ce que toute une population savait, le Bureau central prétendit l'ignorer ! navrant témoignage de ce qu'étaient alors, à Lyon, les créatures, bafouées d'ailleurs par tous les partis, du gouvernement directorial. Les administrateurs de la police n'avaient donc aucun intérêt à exagérer les détails d'un événement qu'ils n'avaient su prévoir. Aussi, pour savoir ce que fut celui-ci, n'y a-t-il qu'à s'en rapporter au récit qu'ils en firent, le 15 vendémiaire, au ministre de la police générale. Toute autre narration perdrait en pittoresque et en exactitude. « Une foule de jeunes gens — écrivent-ils — partie à pied et partie à cheval, leur allèrent au-devant à une lieue et entrèrent avec eux à Lyon dans l'ordre qui suit : sept jeunes gens à cheval ouvraient la marche, portant sur leur tête des branches de chêne et d'acacia. Après eux venaient environ cent jeunes gens à pied, portant les mêmes branches de verdure et marchant deux à deux. Ceux-ci étaient suivis de soixante-cinq autres, tous à cheval, commandés par deux chefs et escortant cinq voitures. Dans la première étaient les parents et amis des accusés ; dans la seconde, qui était un cabrio- let, on voyait les renvoyés d'accusation assis et couronnés ; la troisième, qui était aussi un cabriolet, portait leurs mères et leurs femmes. Suivaient deux autres voitures pleines d'autres personnes et d'enfants. La marche était fermée par une partie de la