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 au grand jour plus audacieuse que jamais. Tout était à redouter de la part d'individus,
 manifestement unis par un lien mystérieux, qui bravaient ouvertement les lois et les
 autorités chargées d'en assurer le respect. On devinait de toutes parts mille compli-
 cités cachées, celle d'une passion politique impitoyable et aveugle et celles, non moins
 dangereuses, de la crainte fermant toutes les bouches. Les pouvoirs locaux, impuis-
 sants jusqu'alors, essayèrent de réagir. Le général Elie, commandant la place, menacé
 lui aussi d'être assassiné avec son état-major, fit un déploiement de force imposant
 afin d'intimider les malveillants ; il parcourut les divers quartiers de la ville et il y
 disposa des postes de troupe de ligne. Pendant ce temps, la police, quoique privée de
 moyens pécuniaires, enquêtait de toutes parts, et le Bureau central* interrogeait les
individus arrêtés comme auteurs ou complices de l'assassinat d'Istria. C'était, à n'en
 pas douter, la « Compagnie de Jésus » qui avait décidé et exécuté ce crime atroce. La
 responsabilité qui lui incombait fut, dès le début, établie aux yeux de tous, les cinq
 prévenus étant connus de toute la ville comme en faisant partie.
      Le plus qualifié d'entre eux par ses antécédents et son audace était le jeune Jean
Storkenfeld, attaché comme danseur au théâtre des Terreaux. Il était fils d'un Alle-
 mand, lui-même maître de danse à Chambéry. Agé de dix-huit ans seulement, il était
déjà déserteur d'un bataillon du Mont-Blanc. On le soupçonnait d'appartenir à l'une
 de ces bandes de « chauffeurs » qui commettaient alors d'horribles attentats dans les
campagnes lyonnaises ; mais cela n'a jamais été établi de façon certaine. Ses relations
 avec les agents royalistes qui infestaient Lyon étaient plus évidentes et il passait pour
être stipendié par eux. Toujours est-il qu'il menait dans cette ville un train de vie que
seules des ressources inavouées pouvaient lui permettre de tenir. Fréquentant, comme
tous ses pareils, les maisons de jeux où se concertaient les mauvais coups, il avait déjà
à son actif de nombreuses aventures impunies.
      C'est un vulgaire crocheteur du Port-du-Temple, Antoine Pin, âgé de vingt-
neuf ans, qui avait donné à Istria le coup mortel. Il était connu comme un très mau-
vais sujet et il avait été compromis, lui aussi, dans les nombreuses affaires imputées à
la « Compagnie de Jésus ». Sa culpabilité ne pouvait être mise en doute puisqu'on
avait trouvé en sa possession l'étui de l'arme meurtrière et que les vêtements qu'il
portait étaient tachés de sang.
      Le troisième individu arrêté était un tireur d'or nommé Mathieu Renard, moins
coquin que les précédents, mais grand ami de l'un des chefs de la « Compagnie », un
nommé Flandrin, individu de sac.et de corde, tenancier d'une maison de jeu, et qui
faisait, dit-on, agir les « assommeurs ».
      Le quatrième était l'émissaire marseillais qui avait suivi à Lyon Pancrace d'Is-
tria, un nommé Champreux, originaire de la Rivière, en Franche-Comté. Cet indi-
vidu, qui paraissait avoir des dehors plus raffinés que les autres, avait été poursuivi, au

     i. Le Bureau central, chargé de l'administration de la police, se composait des citoyens Blanc, fabricant
de bas, Chapuy, cordonnier, et Vingtrinier, chef fortuné d'une importante maison de pelleterie de la rue
Saint-Dominique. Les deux premiers étaient dénués de toute valeur ; le troisième, acquéreur de biens natio-
naux, était en butte à toutes les haines contre-révolutionnaires.