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380 LA REVUE LYONNAISE précisément l'heure où le talent de M. Wyse vient à s'épanouir. Mais, avant la publication de ses Parpaioun blu, son grand événement littéraire est cette félibrée de trois jours au châtelet de Fontsegugue, à Vaucluse et en Avignon, qu'il offrit à trente poètes catalans et provençaux. La première des trois journées est demeurée célèbre pour avoir cimenté l'alliance des deux peuples. Don Victor Balaguer, alors patriote exilé, et qui depuis fut ministre d'Espagne, y mêla frater- nellement ses sirv entés catalans aux brindes provençaux. Et quand, le soir, évoquant les ombres fameuses de tous ces grands aïeux : Bsrnard de Ventadour, Guillaume de Poitiers ; Bellaud, Goudelin, Saboly, l'abbé Favre et Ausias March, et de ce pauvre grand Jasmin qui venait d'expirer dans sa gloire, le vaillant Irlandais, tout ému, but le vin des félibres : « A l'ascension du félibrige ! » « Et quand tout le village, envahissant le parc, embrassa les poètes dans une farandole de joie et de beauté, comme au temps de l'âge d'or, et quand la farandole, gracieu- sement conduite par la jeune et charmante M me B.-Wyse, avec tous les félibres, dansant allègrement au son du tambourin que Vidal battait lui-même, s'égrena au crépuscule sous les rouvres ; et lorsque, enfin, dans le ciel profond, immense, les étoiles clignotèrent, et qu'aux refrains d'amour, de liberté et de patrie, les rossignols tranquilles mêlèrent leur chanson...» Mon bel ami de cœur, mon noble William, continue Mistral dans la préface déjà citée, je te répète, moi, que les hautes pensées et les grands sentiments eclos à Fontsegugue dans ce jour et qui, de Fontsegugue, s'envolèrent par le monde, va, tu peux les compter au nombre de tes papillons bleus. » Dans cette préface au premier livre de M. Bonaparte-Wyse, Mistral résumait en quelques mots les objections qu'on pourrait lai faire d'écrire dans une langue qui n'est pas la sienne, et répondait « que c'est à peine s'il reconnaissait à certaines expressions familières, à certaines inversions, à certaines manières de rendre sa pensée qu'il était né loin du terroir ». Il est certain que, depuis Frédéric Barberousse qui exhalait, le spleen de la Provence, à la cour de Naples, et Richard Cœur de Lion, dans sa prison d'Autriche, aucun étranger, quel qu'il fût, n'avait si bien chanté en provençal. C'est des troubadours que M. Wyse a appris la langue d'Oc. Dans sa soif de Provence, il a voulu boire aux sources et en a rap- porté cette originalité suprême et cette indépendance, pour employer le mot de M. de Villeneuve, à laquelle le portait déjà sa nature d'artiste et de grand seigneur. En lisant certains vers de Wyse, certains vers des Parpaioun blu, la fière prose du duc d'Aumale m'est revenue à la mémoire. A ces esprits de grande race, ne trouverait-on pas quelque fraternité ?... Dans ce premier livre, la jeunesse de l'auteur l'emporte sur sa préoccupation d'artiste ; on en trouve çà et là des traces charmantes. Le second, il faut le recon- naître, car notre Wiliam, comme les vrais poètes, communique à son œuvre la marche ascensionnelle de son esprit, le second est de plus forte inspiration. Mais il y avait dans les Parpaioun blu, certaines pages d'une grâce que l'auteur n'a pas retrouvée. Elles suffiraient à le faire vivre. Nous citerons la Castelano, per Anlounieto de Bèucaire, ravissante élégie entre toutes celles qu'inspira la