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342 LA REVUE LYONNAISE ils s'en aperçurent et se fâchèrent. Craignant que la situation ne se tendît davantage, la municipalité conçut alors le projet d'envoyer une députation à Dijon où résidaient l'empereur François II et M. deMetternich. Je ne sais si ma bonne tenue sous les armes m'avait fait distinguer, mais tant est, que je reçus une missive close du cachet de la ville et sous son gros lion. Elle était à peu près conçue en ces termes : « Monsieur, « La connaissance que vous avez de la langue allemande, votre zèle bien connu pour les intérêts de la ville, ont décidé M. le Maire et son Conseil à vous prier de vous adjoindre à MM. de Laurencin et Camille Jordan qui partiront après demain pour le quartier général de S. M. l'Empereur d'Autriche présentement à Dijon. Vous serez escorté par M. le capitaine de Bavière. Il s'agit d'implorer des allégements. Votre refus semble impossible et ne serait pas accepté. » J'étais collé sous bande, comme on dit. Peu après cette obligeante et ennuyeuse marque de distinction, se présentèrent dans mon appartement mes deux collègues dési- gnés, qui me fermèrent la bouche par les plus aimables politesses, si bien qu'aucun refus ne put en sortir. Le départ fut fixé pour le surlendemain, le rendez-vous chez M. Jordan; et un lundi, autant que je puis me le rappeler, nous montâmes, accompagnés de notre escorte, dans une grande berline et nous partîmes, aux frais de la ville, avec quatre chevaux et deux postillons, Pauvre ville ! comme tu étais dolente et comprimée ! comme ces postes d'uniformes étran- gers te donnaient de la mélancolie! La température pourtant était belle. Le printemps se faisait déjà chaudement sentir; les premiers oiseaux chantaient. Nous suivions la route qui, peu de jours avant, servait de champ de bataille, et passâmes devant le chemin escarpé conduisant aux campagnes de Vermont et de la Roquette, où tant de morts s'étaient entassés. Dans plusieurs endroits, bien des traces douloureuses; de distance en distance, semés dans les champs, autour de brasiers allumés, des bivouacs formaient des postes de correspondance. Sur la route, des traînards. Mais n'est-il pas à propos de vous esquisser mes trois compa- gnons de voyage?