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                  SOUVENIRS -       1813-1814-1815                  337
la poitrine et de hauts plumets au vent, ensuite des masses de
dragons, des colonnes de grenadiers hongrois, des chasseurs du
Loup, ardents patriotes de l'Empire, des Croates puant la graisse
et la bête fauve, des Hessois, des Wurtembergeois. Mais un bien
plus grand nombre débouchait par les Terreaux venant des rives
delà Saône. Beaucoup ne faisaient que traverser la ville et ressor-
taient par le pont de la Cruillotière, ayant charge de poursuivre
Augereau.
   Après quatre heures de faction, je fus relevé et rentrai pénible-
ment impressionné dans mon domicile.
   Le peuple, retenu par des ordonnances, ne se montrait pas.
Profondément blessé au vif dans ses affections nationales, il appre-
nait que nous étions bel et bien à la disposition de baïonnettes et de
barbes étrangères. L'après-dînée fut orageuse à la mairie. L'occu-
pation de la ville ayant été trop peu préparée, le maire, M. d'Albon,
qui ne parlait pas un mot d'allemand ne savait à qui entendre et
comment se faire comprendre. MM. de Sainneville, de Cazenove,
et les autres adjoints, argumentaient, gesticulaient, sans mieux
réussir.
   Les officiers autrichiens et de la Sainte-Ligue criaient comme
des sourds. Le lendemain mardi, même vacarme. Le maire de
Saint-Didier, M. Vigière, vint me supplier de me rendre avec lui
à la Mairie, afin d'obtenir par mon intercession un poste et une
sauvegarde pour sa maison et son village. Par lui j'appris que,
malgré une belle et pathétique pancarte en allemand, laissée par
moi aux grangers de ma mère, la maison de cette dernière avait été
en partie pillée. Beaucoup d'autres habitations eurent le même sort.
La place de Bellecour, au bout de quelques jours, offrit l'aspect
d'un vaste bazar où des marchands étrangers essayaient de vendre
à vil prix ces fruits de la rapine. Je tiens à constater ces faits, afin
de prouver que les Allemands n'avaient pas les doigts moins cro-
chus que les Français, qu'ils volaient tout ce qu'ils pouvaient, et
même, jusqu'aux pots de pommade et aux chandelles dont plusieurs
se régalaient avec délices; je dois aussi constater que le peuple se
montra moral, qu'il empêcha de vendre et ne voulut pas acheter.
Cette difficulté, des ordres sévères de la part des chefs militaires,
enfin l'efficace baguette de noisetier, empêchèrent le pillage d»
       NOVBMRRE 1882. — T. IV.                                 22