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332 LA REVUE LYONNAISE tel était le prestige qui s'attachait au nom de Napoléon que l'on n'avait pas encore perdu tout espoir de lui voir obtenir une paix honorable. Cette dernière illusion devait se dissiper tandis que je franchissais la distance qui sépare Lyon delà capitale. A la Tour- de-Salvagny, deux ou trois carrioles remplies de Lyonnais croi- sèrent ma voiture; je les accostai. Grande fut ma consternation, en apprenant que la Suisse était forcée, que des légions de baïon- nettes allemandes se portaient sur Genève et Lyon, que plusieurs habitants songeaient a fuir. Il n'en fallait plus douter, nous allions être envahis. Oh! quelles heures d'angoisse! Les esprits frappés craignaient d'horribles représailles. Quelques gendarmes, un dépôt insignifiant d'infanterie, des chas- seurs, égrenés sous le commandement du général Meunier, for- maient notre garnison. Rien n'eût empêché le général de Bubna d'entrer sans coup férir s'il se fût rapidement porté de Genève sur Lyon. Un jour, à la barrière fermée de Saint-Clair, tombant comme de la lune, un parlementaire, un jeune officier allemand, se présente avec une belle aigrette de plumes de coq. On avait improvisé une garde nationale composée des plus notables citoyens. Le comman- dant du poste lui demande ce qu'il veut. « Hôtel de ville! Hôtel de ville ! parler au maire! » Sans plus y réfléchir on lui bande les yeux : il fait son entrée sur un cheval fringant, escorté par des fusiliers. Le peuple se ras- semble sur son passage; plusieurs voix crient : A l'eau ! au Rhône! Mais respect au parlementaire ; on se calme. L'ambassadeur arrive à la mairie, il n'adresse que quelques questions,quelques proposi- tions vagues pour des logements, dénotant qu'il n'avait aucune mission déterminée; on rompt toute conférence, on lui repose un mouchoir sur les yeux. De nouveaux cris : Au Rhône ! se font entendre, la porte de la ville se rouvre pour lui et le voilà galop- pant hors de toute atteinte. C'était une gageure entre lui et quelques camarades. Cet état d'angoisse et d'incertitude se prolongea jusqu'à la fin de janvier. Alors arrivèrent, demi-nus, trois régiments d'Espagne,des cuirassiers, entre autres, d'une admirable tenue, firent trembler le pont de la Guillotière sous le poids de leurs armures et de leurs