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                   LES T A B L E A U X D ' A L B E R T DURER                         327

 tière et l'esprit, pendant ses expériences, et il en avait consigné
 les étranges conséquences psychologiques et physiologiques, dans
 de fort curieux petits cahiers que ma grand'mère eut entre
 les mains.; mais elle les lui rendit fidèlement, et ils sont sans
 doute perdus; Je n'ai pas ouï-dire que le docteur américain Tanner
 ait tiré le moindre profit philosophique ou psychologique de son
 fameux jeûne de quarante jours. Ces Américains sont d'un pra-
 ticisme désespérant. Tout pour le dollar, prix du pari, rien pour
 la science, et cependant quarante jours de jeûne, quelle énorme
 prépondérance de l'esprit sur la matière! Et quels progrès, curieux
 à noter, de l'àme divine sur la bête humaine !
    Mais me voici bien loin d'Albert Durer : ce n'est pas lui qui eût
jeûné, mais s'il l'eût fait, c'eût été avec profit pour l'esthétique,
n'en doutez pas. Parmi beaucoup de belles toiles qu'avait rassem-
blées M. Gilibert, deuxième du nom, dont quelques-unes sont
bien classées à Lyon et ailleurs, il y avait un tableau sur bois, de
forme presque carrée, qui excita immédiatement une vive curiosité
et qui offrit un attrait singulier. Il était catalogué sous le n° 90
et sous le nom d'Albert Durer 4.
    La sainte Vierge, voilée d'un capuchon blanc jaunâtre, vêtue d'une
robe rouge vineux à manches bleues, est assise sur une terrasse
ouverte au milieu d'un passage montagneux semé de rochers aux
formes étranges, de collines abruptes ; le tout émaillé d'innom-
brables châteaux, villages fortifiés, toute la toile de fond des
tableaux germaniques du quinzième siècle. Sous un ciel nuageux,
mais harmonieux de forme et de couleur, la Yierge placée de
trois quarts, le côté droit faisant face au spectateur,- tient le divin
Enfant endormi, la tête abandonnée sur l'épaule maternelle. Rien


  i 90. — Durer (Albreclit). École de Nuremberg. La Vierge et l'enfant Jésus. —
L'enfant Jésus tenant une pomme à la main s'est endormi dans les bras de sa mère,
qui est assise, un missel posé sur ses genoux: un voile blanc couvre sa tête, elle porte
une robe bleue garnie de fourrures et un manteau rouge. A ses pieds, on voit une
coupe garnie de fruits; à l'arrière-plan des bois, des eaux, des rochers, des mon-
tagnes. Cette délicieuse peinture se distingue par une touche fine, délicate et moel-
leuse, par des contours légers et gracieux, par un coloris plein de douceur et de
naïveté. H. 073. L. 0. 55.
  (Extrait du Catalogue de la vente Gilibert, 11 mars 1872. Ch. Gachod, commis,
pris. F. Odier, expert.)