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LA J A R R E T I È R E BLEUE 263 — Austère. Monsieur et madame font lit commun. On est abonné à la Gazette de France. — Vous avez, je le vois, vos grandes et vos petites entrées, et vous êtes au courant de tout ce qui se passe dans la maison. — Ils reçoivent une fois par semaine, le samedi, on saute au piano ; je vous prie de croire que ce n'est point drôle, mais j ' y vais assez régulièrement pour ne pas attirer sur moi les foudres de papa. Il s'est mis en tête de me faire épouser une des petites Morin, et si je ne me montrais de temps à autre dans cette maison respectable, il me couperait les vivres, ce qui serait navrant, vous en conviendrez. Mais pourquoi me questionnez-vous ainsi? est-ce que vous avez envie que je vous présente ? — Je vous avoue que cela me serait fort agréable, surtout si vous vouliez présenter en même temps un de mes amis, M. Oscar Eachereau. — Tout ce que vous voudrez, mon cher, tout ce que vous voudrez. Ah çà , vous désirez vous marier, hein? ou marier votre Bachereau? Vous avez flairé chez les Morin des dots agréables. Ne niez pas, je ne vous en veux nullement et ne vous ferai pas concurrence. D'ailleurs il y en aurait pour tout le monde ; elles sont trois et se ressemblent trop pour qu'on tienne à l'une plutôt qu'à l'autre. » Je remerciai le jeune de Tournemont de sa complaisance ; il me fixa le jour où la présentation se ferait, et il fut convenu que nous viendrions le prendre, Oscar et moi, pour aller ensemble à la soirée des Morin. L'heure avait sonné de prévenir Oscar. Je me dirigeai le soir même vers la rue Férou en savourant d'avance le coup de théâtre que j'allais produire. Assis au coin du feu, le locataire de Mme Lobligeois fumait mélancoliquement une pipe turque. A côté de lui, sur une petite table, était ouvert Jocelyn, ouvrage qu'il appréciait spécialement depuis que l'amour était entré dans son coeur, quoique les circonstances où le jeune lévite s'éprend de Laurence n'aient rien de commun avec celles qui avaient vu naître sa passion. Mon infortuné camarade me tendit silencieusement la main en poussant un profond soupir.