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206                       LA REVUE LYONNAISE
« illettré », poète languedocien, mais consentit finalement à adoucir
 sa phrase, — au nom de l'amitié.
    La corruption de la langue du Midi, née avec les guerres
de l'Empire, était déjà reconnaissable à Agen comme ailleurs.
Jasmin qui n'avait pas fait d'études latines — inférieur en cela
aux félibres qu'il a précédés, —l'écrivait comme on la parlait
Mais M. Mary Lafon n'entendait pas de cette oreille. C'était là un
usage qu'il n'a jamais pu comprendre. Il travaillait alors à son
 Tableau de la langue romane, et, nous dit-il dans ses Confessions,
 « notre langue méridionale se composant de latin, de grec, de
gothique et d'arabe, pour la comprendre à fond et l'écrire conve-
nablement, il est indispensable de connaître ces quatre sources
principales. » Il est tout naturel ainsi que l'audace de ce Jasmin
l'ait a fait sourire de pitié ». Il se mêla de lui adresser des conseils,
une réponse froissée suivit, et Sainte-Beuve enfin, qui avait con-
 sacré une étude superbe à Jasmin, dans laquelle il le comparait
 au grand italien Manzoni 2, jugea à propos d'atténuer l'éloge par
 une note assez peu importante sur la langue du « troubadour ».
 M. Mary Lafon semble croire pourtant avoir changé l'opinion du
 grand maître de la critique. Or, nous trouvons dans les nouveaux
 Lundis un retour significatif sur la Renaissance méridionale, sur
Jasmin et Frédéric Mistral en particulier. « Homme d'esprit et de
 sensibilité, artiste habile, acteur et poète..., dit Sainte-Beuve de
Jasmin, deux légères fautes qu'il avait commises... l'une c'était
d'avoir composé et publié un poème français qui ne donnait pas sa
mesure... » Et poursuivant l'investigation jusque dans ses notes,
l'éloquent fouilleur, à propos d'un jugement forcé de M. Cambouliu,
professeur à Montpellier, lequel croyait à la disparition future de
la renommée du poète, Sainte-Beuve ajoutait que cette impression
produite par Hélène, son poème français, avait nui beaucoup à la
juste réputation qu'on lui avait édifiée.
   Si j'ai insisté sur ce point, c'est que M. Mary Lafon et le « cri-
tique local » qu'il cite à l'appui de sa thèse, ont tellement crié au
style français du poète gascon, que ce dernier s'est malheureuse-
ment laissé aller à leur donner une éclatante preuve du contraire;

  1
      Revue des Seux Mondes, du 30 avril 1837;