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                     LA J A R R E T I È R E BLEUE                  189
  blables sujets. Une fois ce préambule obligatoire terminé, il me
  séduisait par la clarté et Ja bonne foi dans l'exposition des faits,
  par la logique de ses déductions, par les thèses ingénieuses qu'il
  soutenait, un peu hardies parfois pour un homme aussi timoré.
     Je luttais de mon mieux contre cette crainte que le pauvre Bache-
  reau avait de se produire, j'essayais de piquer son amour-propre,
 je m'évertuais à lui prouver qu'il n'avait qu'à vouloir pour
  réussir et que son instruction, son intelligence, sa fortune enfin
  lui permettaient de se faire, tout comme un autre, mieux qu'un
  autre même, sa place au soleil ; mais toutes mes belles raisons
  venaient se briser contre son entêtement et sa force d'inertie. Puis
 Oscar était fait à ce genre de vie ; au collège seulement il avait
 tâté du contact avec ses semblables et le souvenir qu'il en avait
 gardé n'était pas pour lui faire admettre l'adage de Sénèque : Ad
 ccetum geniti sùmiis.
    Il laissait ainsi inutiles des dons ' très précieux que d'autres
 auraient su bien employer. Certes, l'envie, ce sentiment dégradant,
 n'est jamais entré dans mon cœur, mais je confesse que je ne
 pouvais de temps en temps me défendre d'un certain dépit en
 voyant ce maladroit ne profiter en rien de ce qui eût été pour
 beaucoup d'inappréciables instruments.
    Après avoir épuisé mon éloquence sans éveiller chez Oscar la
moindre curiosité de sortir un peu de sa retraite, après lui avoir
 fait de la vie joyeuse que peut mener un étudiant riche un tableau
 où l'imagination, hélas ! avait plus de part que l'expérience, je dus
 reconnaître que son cas était désespéré et je cessai mes remon-
trances.
    Nous passions nos soirées à deviser de choses et d'autres et
 à faire un cent de piquet. Quand, de loin en loin, j'allais à l'Odéon
ou au Théâtre-Français, Oscar se décidait à m'accompagner. J'ai
toujours adoré le spectacle et au temps de ma plus grande gêne,
j'accomplissais de véritables prodiges d'économie pour réaliser le
prix d'un parterre. Oscar me suivait à ces modestes places aussi
naturellement que s'il n'eût pas tenu un rang agréable parmi les
créanciers de l'Etat. Le désir qu'il avait de ne pas me froisser et
son humilité native le trouvaient d'accord pour l'éloigner des fau-
teuils d'orchestre. Lors de la première de ces petites débauches,