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LES SUBVENTIONS ARTISTIQUES 163 civilisation. 11 n'est pas indifférent pour un peuple déposséder une élite d'écrivains, de savants, d'artistes qui font sa gloire et contri- buent, dans une large mesure, à sa prospérité, même matérielle. Les plus beaux siècles, ceux dont l'histoire a précieusement gardé le souvenir, le siècle d'Auguste, le siècle de Léon X, le siècle de Louis XIV, sont, les époques où l'humanité a eu la plus belle flo- raison de chefs-d'œuvre, où elle a pu s'enorgueillir d'une illustre pléiade de peintres., de sculpteurs, de poètes, de prosateurs, de savants, qui élargissaient l'horizon de l'esprit. Malheureusement— ou peut-être heureusement — ces brillants génies, s'ils ont parfois les premières caresses de la gloire, arrivent rarement à la fortune, où n'y arrivent que bien tard. Ils ne cher- chent pas la richesse et la richesse ne vient pas les trouver. Pour couvrir d'or un tableau, l'amateur exige souvent que le marchand exhibe le certificat de décès du peintre. Millet avait vendu 1.500 fr. son Angélus, ce tableau d'une poésie si pénétrante, qui, deux ou trois ans après la mort du peintre, a atteint le prix de 125.000 fr. Plus l'individu met de son intelligence et de son cœur clans son œuvre, et moins facilement il obtient le succès. Il semble que la pauvreté soit l'aiguillon nécessaire des grands efforts, et que, pour se développer, le génie exige la lutte et la souffrance. Les obstacles à vaincre, les épreuves à subir trempent le caractère, affinent et fortifient le talent. C'est dans les pays démocratiques surtout que la nécessité est la mère des chefs-d'œuvre. La richesse semble être le droit de vivre paresseusement, en profitant des jouissances qu'elle procure : l'activité féconde est en proportion inverse du bien-être. Trop souvent, même pour l'artiste qui a passé par les dures épreuves de la pauvreté et qui a peut-être aimé cette austère compagne de sa jeunesse, qu'elle embellissait de fécondes espérances, l'ascen- sion vers la fortune équivaut à une diminution du talent, La nécessité avait fait violence au génie; l'indolence succède à la féconde activité, les forces s'éparpillent sur mille sujets : beaucoup d'ébauches peut-être, pas d'œuvre importante. Si d'aventure le par- Venu de la pauvreté, le fils de lui-même garde sa puissance et l'énergie acquise dans la mêlée, s'il ne fait pas faillite aux ambi- tions de l'adolescence, aux promesses de la jeunesse* aux premières