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142 LA REVUE LYONNAISE
l'esprit entre les émotions et les sentiments ; aux émotions qui ont
agité l'organisme succède le jugement de l'esprit, et ce jugement
est « avant le sentiment de l'âme, qui attend en quelque sorte pour
s'affecter que l'entendement ait prononcé sur ce qui est conforme
ou opposé à l'ordre, à l'harmonie, au perfectionnement où elle
aspire 1 ». Par cette bizarre solution de continuité, le cours de la
sensibilité s'interrompt, et l'idée du beau ou du bon se place comme
spectatrice entre la sensibilité du corps qui la précède et la sensi-
bilité de l'âme qui la suit. Que tout ce montage d'appareils répugne
à la saine appréciation philosophique ! que cette constante pré-
tention de graduer le phénomène à travers les passages du corps
jusqu'au sanctuaire de l'âme est une erreur et, si j'osais le dire,
une billevesée de l'observation : ah! certes, le sentiment esthétique
ou moral a une source autre que celle qui bruit entre les fibres
de l'organisme et son influx dans l'âme est autrement immédiat et
rapide.
Maine de Biran avait soupçonné sur ce point la vérité. Mais il
s'en était tenu à une vague divination qui ne l'avait, éclairé que
d'une réverbération passagère. « Ce n'est peut-être pas sans raison,
dit-il, qu'un philosophe célèbre a établi dans l'homme l'existence
d'un sens moral interne particulier, qui est naturellement modifié
de telle manière, agréable ou désagréable, par certaines qualités
ou actions bonnes ou mauvaises, comme le sens de la vue l'est
diversement par certaines nuances ou combinaisons de couleurs2. »
On le voit, la question s'était présentée au philosophe avec des
apparences assez engageantes pour séduire de sa part un certain
assentiment. Et pourtant, il ne s'en est pas autrement préoccupé.
Les chaînes de son système le retenaient. Combien n'aurait-il pas
fallu être jeté loin de la psychologie étroite de l'effort et de la
résistance, une fois admis que l'âme a un sens tourné vers le
monde métaphysique ou moral dans une direction opposée à celle
qui vient du monde des corps ?
Enfin Maine de Biran a laissé presque entièrement de côté la
logique, sans laquelle il ne peut y avoir de psychologie satisfai -
1 Œuvres inédites, t. II, p. 208*
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Œuvres inédites, t. II, p. 185,