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L E S J U I F S SOUS L ' A N C I E N RÉGIME 85 et ouvert son comptoir, non seulement le baron avait le droit de le. poursuivre partout où il se transporterait, et concluait avec ses voisins des conventions pour s'interdire réciproquement de le rece- voir i, mais, aux termes des Établissements de saint Louis, ses meubles étaient la propriété du seigneur, qui ne les laissait entre ses mains que par tolérance, afin qu'ils pussent mieux fructifier 2. Auparavant, on lui défendait de posséder des biens-fonds; on lui contestait au moins, sous saint Louis, non seulement le droit d'ac- quérir des terres nobles, ce qui pouvait rigoureusement s'expliquer par sa condition, mais encore des héritages en roture. On le poussait ainsi à se livrer à ce trafic d'argent auquel il n'était pas nécessaire de l'exciter, à dissimuler sa fortune, à la mobiliser pour la rendre insaisissable. Son aisance lui était reprochée comme le produit de spoliations commises au préjudice des chrétiens ; on le frappait d'impôts énormes ; on l'emprisonnait, pour lui faire rendre gorge et rejeter dans le trésor royal ces richesses mal acquises que puri- fiait incontinent le contact d'une main orthodoxe. Ce qui se passa à cet égard en Angleterre peut donner une idée de ce qui sefitdans les autres pays. Le roi Jean, ayant besoin d'argent, établit une soi- disant chambre de justice qui jeta en prison tous les riches juifs du royaume et ne leur rendit la liberté qu'après les avoir saignés à blanc. L'expression n'est pas une simple image. On les mit à la torture, pour les contraindre à révéler le lieu où ils avaient enfoui leurs trésors. L'un d'eux se fit arracher sept dents l'une après l'autre sans se trahir ; mais il donna mille marcs d'argent à la huitième. Henri III extorqua d'Aaron, israélite d'York, quatre mille marcs d'argent pour lui et deux mille pour la reine. Puis il vendit les autres juifs anglais à son frère pour un certain nombre d'années, afiu que celui-ci les achevât, ut quos rex excoriaverat, cornes evisceraret, dit Mathieu Paris. Est-il besoin d'ajouter que, sauf quelques exceptions indivi- duelles, l'Église n'était ni la conseillère, ni la complice de ces iniquités? Condamnées par un concile de Paris et par Pierre-- 1 Edit. de 1230 ; Brussel, Usage gén. des fiefs, p. 580. 2 Lir. I, ch. cxxvn. V. aussi Bracton, liv. V.. t. IV, ch. vi, § 6 ; Mathieu Paris, p. 521.