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un ouvrage estimable et digne de la réputation du savant et consciencieux tra••
d'acteur.
  Celui qui s'est chargé de mettre en vers français le poème appelé vulgai-
rement l'Art poétique abordait une plus rude tâche, et il nous impose une plus
grande exigence : Poterat duci quia cœna fine isti.i.
   Le premier tort que paraît avoir une nouvelle traduction d'Horace, c'est
d'être une traduction nouvelle. Si jamais auteur fut annoté, commenté, traduit
et en prose, et en vers plus ou moins français, c'est à coup sûr H o r a c e ; sans
parler de tous les attentats polyglottes dont 1,1. Monfalcon s'est fait le savant
rapporteur. Que voulez-vous? c'est une des charges de la gloire. On n'accepte
pas le génie sous bénéfice d'inventaire. Donc le besoin d'une traduction en
vers de l'Art poétique d'Horace ne se faisait pas trop généralement sentir. Quel
motif a donc pu déterminer M . Porchat, de Lausanne, à donner au public de
France ce superflu littéraire ? L'élégant traducteur est-il de l'avis de Voltaire
relativement à la nécessité du superflu ? Est-ce de sa part dédain pour les tra-
ductions précédentes ? Est-ce admiration pour Horace, amour des saines doc-
trines de VEpilre aux Visons ? Il y a peut-être un peu de tout cela : mais il y
a, je crois, autre chose. Quoi ? — l e plaisir de faire un tour de force. On a dit
que c'était dans le post sciiptum    qu'il fallait aller chercher la pensée princi-
pale d'une lettre de femme. J e soupçonnerais que l'idée dominante de M . Por-
chat se trouve dans le post scriplum      du frontispice. A la neuvième ligne du
troisième titre, après les nom, prénoms et qualités du traducteur, se faufilent
modestement, entre deux parenthèses, en petits et presque imperceptibles ca-
ractères, ces mots significatifs ( 4 7 S vers pour 476 ). Ainsi c'est l'Art poétique.
rendu presque vers pour vers, c'est Horace en personne, sans longueurs, sans
additions ! Lui-même avait prophétisé l'œuvre de M . Porchat : « Un jour,
« avait-il dit, un interprète fidèle s'escrimera à me traduire mot pour mot.
'< Verbum verbo curabil reddere fidus interpres. » Hàtons-nous de le dire, il a
fallu, pour obtenir ce résultat, un talent remarquable, une science profonde
des deux langues, une flexibilité de style vraiment digne d'éloges. Mais si,
laissant de côté le mérite de l'écrivain, qui ne fait pas question, nous exami-
nons l'œuvre qui en est le fruit, notre opinion sera loin d'être aussi favorable.

   Horace est peut-être de tous les poètes latins le plus rebelle à cette scrupu-
leuse et matérielle traduction. En vain vous l'enlacez des mille petites précau-
tions de votre art ; il s'échappe en riant des liens où vous croyiez le tenir ; il vous
laisse entre les mains ses idées, ses métaphores, ses constructions si vous vou-
lez, tout l'attirail matériel de sa phrase, et s'élance railleur et libre loin du tra-
ducteur désappointé. Vous avez la pensée d'Horace, vous n'avez pas Horace :
c a r sa grâce, son aimable enjouement, ses adorables négligences n'y sont plus.