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                Même aux yeux de l'auteur vous rirez du tableau ;
                Mais le livre échappé d'un fantasque cerveau,
                Vrai songe de malade, incohérent, bizarre,
                Est-il, doctes Pisons, moins choquant, moins barbare '.

   Il n'est pas difficile de sentir combien cette traduction est infidèle, au point
de vue de l'art. Dès le début, Horace vous frappe par une peinture, par un
contraste : humano capiti cervicem eqiiinam. L'imagination du lecteur est saisie:
un vers a suffi pour lui transmettre le germe fécond de toute la pensée. Que
f a i t M . Porchat ? Il nous parle des lois du goût qui devraient arrêter une main !
Il s'amuse à nous avertir que le peintre assez fou pour tomber dans le ri-
dicule que    suppose     Horace,      n'arrêterait    pas sa main       aux lois du goût !
En vérité ? Qui l'aurait cru sans l'affirmation du traducteur ? Horace, dans son
style toujours pittoresque, rassemble des membres divers de toute espèce d'ani-
maux : M , Porchat, qui tient par dessus toutes choses à faire entrer ces mem-
bres dans un seul hémistiche, les défigure si bien qu'ils deviennent une œuvre
heterochjte. Le poète jetait sur ce mélange des plumages               différents, ce qui ne
devait pas lui donner une grâce infinie : le traducteur veut à toute force que ce
soit là un ornement. Mais ce que je ne peux pardonner à M . Porchat, c'est de
m'avoir enlevé une jolie femme qu'Horace me donnait dans le vers suivant
mulier formosa superne, et de ne me donner en échange qu'un œil ici fort inu-
tile ;
                   Âylas ! e que m fan miey           huelh,
                   Quar no vezon sn qu'ieu vuelh               (i)!

   La laideur, pas plus que la beauté, ne trouve grâce devant l'impartial abré-
viateur. La femme n'était plus belle ; le poisson qui la termine n'a plus rien de
repoussant. Je ne le vois ni noir ni hideux comme dans H o r a c e . Décidément
cette version est le lit de Procuste.
   Après son image bizarre, Horace s'empresse d'établir le rapport de ressem-
blance qu'elle apiène : Croijez-moi, Pisons, Ci ce tableau ressemblerait le livre
M. Porchat supprime cet habile correctif, crédite Pisones, qui semble deman-
der grâce pour l'originalité de la comparaison en faveur de sa justesse. Quant au
rapport qui unit le livre au tableau, rapport qu'il est si urgent d'exprimer pour
donner bien vite une signification à la supposition précédente, M . Porchat n'est
pas pressé : il l'exprimera plus tard, si tant est qu'il l'exprime. Il s'occupe pour
le moment de caractériser, sans aucun lien apparent avec ce qui précède, un livre


                  ( t ) Hélas ! que me servent mes yeux
                        Si ne puis voir ce que je veux !
                                        SoRDEL DE MANTOUE, t r o u b a d .