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290 Celte absence du manoir avait été précédée de noirs pres- sentiments, et de mauvais signes l'avaient suivie. Ce père comprenait que ce n'était pas à dix-sept ans, et ravissante comme l'était cette jeune veuve, que prudem- ment elle devait affronter seule les dangers de la galante cour de France. Mais le mal était fait ; pourvu qu'il ne fut pas sans remède! Aussi voila pourquoi depuis le saint jour de Toussaint, époque de ce départ, le noble châtelain, faute de lettre de madame Gasparde, passait ses nuits tantôt en prières, tantôt en messa- ges expédiés dans tous les sens ; et quand, de jour, il allait sur les terrasses de son jardin pour de là mieux voir venir ses courriers ; du bas de le vieille ville on entendait ses lamenta- tions malgré le bruit des écluses et des moulins à soie dont cette ville abonde. Pour comble d'infortune, son fils Melchior lui manquait. Il était allô faire ses exercices en Italie. Le vieillard n'avait donc pour tout soulagement que les grains de son chapelet sitôt pas- sés, et les exhortations de ses pauvres capucins, par lui récem- ment établis à l'est du vieux château. Ce n'était point sans raison que gémissait ainsi dans ses tou- relles le sire de St-Chamond, et afin que le lecteur sache de suite pourquoi Madame Gasparde, veuve de Canillac, sa fille, ne donnait pas signe de vie, disons que la chaste veuve venait d'être la victime d'un odieux guet-apens, enfin d'un rapt à main armée, de la part d'un déloyal chevalier. Cette dame était bien arrivée tout d'un trait et sans malen- contre à leur grand logis, hôtel de St-Chamond, à Paris. Mais dès que les jeunes seigneurs avaient su que la jolie veuve était sous leur main, ils s'étaient rabattus par essaim vers sa demeure, de manière à lasser les gens à son service malgré leurs libéralités, et de là le malheur. Lemarquis de Canillac, mari, seigneur et maître de Mada-