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468 des intelligences semble déjà présager des chefs-d'œuvre, quand la guerre opiniâtre, acharnée, d'abord contre la France, puis entre les diverses branches de la postérité d'Edouard III, lutte stérile et sanglante des deux roses qui consume la sève du peuple anglais, le jette sans force et sans conscience aux pieds de l'horrible Henri VIII. Qui eût pensé que ce fût celte époque d'érudition trom- peuse et de basse flatterie, ce règne qui pour tant de victimes, ne compta qu'un sage (Thomas Morus), que la Providence eût choisi pour préparer la grandeur de la nation anglaise? N'attribuons pas à un roi tvrannique, parjure, meurtrier de sa famille, ni à tous ses vils courtisans, le bien qui a suivi son règne. N'imputons pas la réforme politique, religieuse, litté- raire de l'Angleterre à tel nom, à tel caractère qui ne pour- rait en soutenir le poids ! Disons plutôt que les temps étaient venus où devait s'éveiller le génie, où la ferme et habile Elisa- beth, sévère pour ses sujet§, indulgente pour elle-même, devait trouver un sol tout préparé pour des inspirations fortes et puissantes. Pendant que les escadres de l'Angleterre faisaient trembler Philippe II sur son trône, l'élégance française, la finesse italienne s'introduisaient à la cour de la reine; Spencer récréait les esprits par sa brillante allégorie de la Reine des Fées, et modelait avec art la langue anglaise en cadences pures et mélodieuses. Enfin, Shakspeare parut, Shakspeare, dernier géant du moyen-âge, placé comme Dante sur la li- mite des siècles pour refléter le passé et l'avenir, Shakspeare, plus surchargé qu'enrichi de toutes ces traditions confuses qui signalent l'existence inexplicable du grand peuple dont il est l'idole ; mais qui, par la force de son génie, par sa science profonde du cœur humain, par celte intuition victorieuse qui signale les rois de la pensée, s'est servi de ces traditions diver- ses, historiques, fantastiques, grecques, romaines, italiennes, anglaises, comme de voiles à moitié diaphanes et tissus d'om-