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119 tout entière de l'esprit humain, dans ces âges de religion et d'enthousiasme, où la foi remplace la philosophie ; où l'au- torité, volontairement et naïvement acceptée, remplace le libre examen et le doute, la poésie s'idenlifiant avec la pensée traditionnelle et nationale dont elle est la voix immé- diate, l'écho sonore et fatal, ne saurait aller choisir entre tous les symboles des diverses civilisations celui que sa fantaisie voudra vivifier et animer de son souffle créateur. Alors la poésie est partout ; si elle règne dans toutes choses, elle obéit elle-même à quelque esprit supérieur, qui l'impose et la fait chanter à son gré les mystères des origines ; l'esprit humain parle une langue qu'il n'a pas apprécié. Dans cette première période des civilisations, il n'y a pas, à proprement parler, despoètes, mais seulement des lyres qui gémissent, toutes seu- les, au vent des traditions. Plus tard, alors que la réflexion et l'analyse ont envahi les plus hautes régions de la pensée; quand l'ame humaine ayant passé à travers les époques critiques, vu successivement le lever et le déclin des civilisations, se consulte elle - mô- me et interroge ses œuvres ; quand, après avoir conversé complaisamment avec le doute, rejeté le joug des dog- mes imposés, elle va, voyageuse émancipée, parcourir le globe entier des croyances, et s'épuiser dans ce monde qu'elle trouve trop étroit pour le jeu de sa liberté, soyez assuré que la science viendra s'adjoindre à la poésie, si- non la remplacer. Il y aura quelque chose de réfléchi dans les œuvres du poète ; au lieu d'Homère, créant le symbole re- ligieux, moral, politique, universel de la Grèce, vous aurez Virgile, écrivant ce merveilleux poème de l'Enéide, ce chef- d'œuvre d'une poésie où la réflexion a autant de place que l'inspiration, s'adressant non plus seulement à Rome où peu d'esprits devaient le comprendre, mais s'adres- sant à l'avenir, à toutes les âmes, quelle que soit leur patrie.