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515 Le voyez-vous si malin dans sa bonhomie, si simple dans son élégance, laissant tomber de sa plume des vers qui seront les éternels préceptes du bon goût ? Chez lui point d'apprêt, point d'art apparent. Dans ses charmantes causeries, tout lui est bon pour entrer en matière, tantôt c'est un voyage, une partie de campagne qu'il vous raconte, tantôt c'est une nouvelle de la grande cité can- canière comme une petite ville. Vous vous livrez sans défense à ce causeur sans préméditation, et pendant qu'il vous entraîne à la dérive, il vous amène tout droit, par la pente naturelle de son esprit, à une bonne vérité morale, à un excellent principe littéraire par où il vous faut passer bon gré malgré, tant le courant est rapide, tant le fil de la conversation est irrésistible. Son prétendu Art poétique n'est pas autre chose, c'est une lettre sur la poé- sie : l'intituler autrement, c'est déjà ne l'avoir pas compris : c'est une causerie littéraire qui ne coule pas en ligne droite, mais qui serpente avec grâce parmi les plus importantes questions de l'art d'écrire. On l'a accusé de manquer d'ordre : sans doute il n'est pas assujetti à cet ordre pédantesque qui s'environne de divisions et de subdivisions, qui se proclame bien haut, qui se tà te avec anxiété pour s'assurer qu'il existe ; mais on y aperçoit cet ordre naturel qui dirige nécessairement une intelligence supérieure dans la production de ses pensées : les choses s'y coordonnent spontanément, elles s'y déposent d'elles- mêmes et pour ainsi dire par couches suivant leur pesanteur relative. C'est par ces rares et inestimables qualités que l'Epître d'Horace, avec son franc parler, sa libre allure, sera toujours préférée à l'Art poétique de Boileau par tous ceux qui aiment mieux une conversation qu'un traité, un homme qu'un critique. En face de ce style si leste et si ferme à la fois, si souple et si correct, si plein, d'abandon et de coquetterie, qui semble se peindre lui-même par cette expres- sion charmante simplex mundiliis, que fera l'infortuné traducteur, surtout s'il. a eu la malencontreuse idée de calquer au lieu de peindre ? Le voyez-vous d'avance se brisant pour paraître flexible, prenant une contorsion pour une grâce, une grimace pour un sourire? « Je rirais, ditLabruyère, d'un homme « qui voudrait sérieusement parler mon ton de voix, ou me ressembler de « visage. » Pour justifier ces observations qui paraîtront sévères, nous allons transcrire ici quelques vers de M. Porchat. Nous ne choisissons pas : nous prenons le dé-* but, qu'il a dû travailler avec un soin particulier. Qu'un peintre aux lois du goût sans arrêter sa main Sur un col de cheval place un visage humain, Que l'œuvre hétéroclyte et de plumes ornée, Offre à l'œil une femme en poisson terminée