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Le voyez-vous si malin dans sa bonhomie, si simple dans son élégance, laissant
tomber de sa plume des vers qui seront les éternels préceptes du bon goût ?
Chez lui point d'apprêt, point d'art apparent. Dans ses charmantes causeries,
tout lui est bon pour entrer en matière, tantôt c'est un voyage, une partie de
campagne qu'il vous raconte, tantôt c'est une nouvelle de la grande cité can-
canière comme une petite ville. Vous vous livrez sans défense à ce causeur sans
préméditation, et pendant qu'il vous entraîne à la dérive, il vous amène tout
droit, par la pente naturelle de son esprit, à une bonne vérité morale, à un
 excellent principe littéraire par où il vous faut passer bon gré malgré, tant le
courant est rapide, tant le fil de la conversation est irrésistible.
    Son prétendu Art poétique n'est pas autre chose, c'est une lettre sur la poé-
sie : l'intituler autrement, c'est déjà ne l'avoir pas compris : c'est une causerie
littéraire qui ne coule pas en ligne droite, mais qui serpente avec grâce parmi
les plus importantes questions de l'art d'écrire. On l'a accusé de manquer
d'ordre : sans doute il n'est pas assujetti à cet ordre pédantesque qui s'environne
de divisions et de subdivisions, qui se proclame bien haut, qui se tàte avec
anxiété pour s'assurer qu'il existe ; mais on y aperçoit cet ordre naturel qui
dirige nécessairement une intelligence supérieure dans la production de ses
pensées : les choses s'y coordonnent spontanément, elles s'y déposent d'elles-
mêmes et pour ainsi dire par couches suivant leur pesanteur relative. C'est
par ces rares et inestimables qualités que l'Epître d'Horace, avec son franc
parler, sa libre allure, sera toujours préférée à l'Art poétique de Boileau par
tous ceux qui aiment mieux une conversation qu'un traité, un homme qu'un
 critique.
    En face de ce style si leste et si ferme à la fois, si souple et si correct, si plein,
 d'abandon et de coquetterie, qui semble se peindre lui-même par cette expres-
 sion charmante simplex mundiliis, que fera l'infortuné traducteur, surtout s'il.
 a eu la malencontreuse idée de calquer au lieu de peindre ? Le voyez-vous
 d'avance se brisant pour paraître flexible, prenant une contorsion pour une
 grâce, une grimace pour un sourire? « Je rirais, ditLabruyère, d'un homme
 « qui voudrait sérieusement parler mon ton de voix, ou me ressembler de
 « visage. »
   Pour justifier ces observations qui paraîtront sévères, nous allons transcrire
ici quelques vers de M. Porchat. Nous ne choisissons pas : nous prenons le dé-*
but, qu'il a dû travailler avec un soin particulier.

                 Qu'un peintre aux lois du goût sans arrêter sa main
                  Sur un col de cheval place un visage humain,
                  Que l'œuvre hétéroclyte et de plumes ornée,
                  Offre à l'œil une femme en poisson terminée