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204 à l'âge d'homme les principaux traits se remarquèrent par une certaine fierté d'humeur, heureusement mêlée à une grâce pleine de charme; par une disposition toujours prête à pren- dre part au bonheur d'autrui, soit pour le goûter, soit pour le procurer, et par un commerce d'amitié d'un agrément infini et d'une sûreté à toute épreuve. Mais je ne veux pas m'arréter sur des temps et des exemples toujours un peu indécis, et dans lesquels l'expérience, passez- moi l'expression, que je veux soumettre à votre jugement, pourrait ne pas vous paraître assez significative et assez claire. Je passe donc de suite au moment où, il y a aujourd'hui 27 ans environ, je rencontrai et connus à notre chère Ecole nor- male le jeune homme avec lequel je me liai dès lors pour la vie. A partir de ce moment je puis dire plus sciemment la part qu'eût l'épreuve dans cette âme ; je ne dirai cependant pas tout ; quand je le voudrais, je ne le pourrais pas : je me borne- rai à ce qu'il me sera le plus facile d'exprimer et de rendre. Il est une situation d'esprit que connaissent bien ceux qui se sont livrés à de fortes études philosophiques, que j'ai essayé ailleurs de décrire, et que je vous demande la permission de vous rappeler ici, parce qu'elle me semble parfaitement con- venir à M. Jouflroy. Il y a, pour le penseur, dans la voie qu'il parcourt, les obscures questions qui, à mesure qu'il avance et touche de plus près dans ses recherches aux limites et au fond des choses, l'arrêtent et le troublent à chaque pas davantage. Qu'en présence de ces problèmes il hésite ou recule ou s'é- lance et se précipite, qu'il s'abstienne ou qu'il ose, il ne peut garder l'esprit serein, et il est à peu près inévitable qu'il ne tombe pas dans de grands découragements ou de terribles a p - préhensions : car devant ces ténèbres, timide ou téméraire, il se sent également faible; le doute lui est un grand mal, mais le dogmatisme hasardeux ne lui est pas une moindre peine.