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quels s'abrita ma joyeuse enfance, et que j'ai trop tôt perdus, pour
que leur mort m'ait fait des blessures bien cruelles. C'est plus tard
qu'on apprend à souffrir ; et encore combien dont la vie n'est qu'une
longue enfance ! êtres légers que rien ne déchire parce qu'à rien ils
ne sont attachés; être heureux, mais d'un bonheur qui ne fait pas
envie.
   Ainsi, c'est sans chagrin que je visite cette place où repose une
vieille tante dont le souvenir lointain, mais présent encore, me re-
porte à la fraîcheur riante de mes premières années. Infirme, cas-
sée, courbée par l'âge et les soucis, elle touchait au terme de la vie,
quand moi j'y entrais tout rempli d'insouciance et de folle joie.
J'allais la voir, ses croisées donnaient sur le lac dont les eaux bleues
me semblaient ravissantes. De cette retraite, le monde apparaissait
à ma jeune imagination, comme un séjour tout décoré d'azur et de
richesse, comme un brillant palais pour jouer et rire, comme
un asile fortuné où volaient les oiseaux de l'air, où les animaux
paissaient parmi les fleurs, où l'homme portait toujours en lui une
félicité paisible et pure. Aujourd'hui, déçu de ces illusions, elles
sont néanmoins si vives encore dans ma mémoire, que sur cette
tombe même qui presse des ossements et de la poussière, elles
masquent sous leur brillant réseau la hideuse réalité de la mort.
   Pauvre tante ! j'ignore à quel degré j'étais son neveu, mais son
accent qui résonne encore à mes oreilles, m'a fait penser plus tard
qu'elle était allemande, parente de mon père, je m'imagine. Elle
avait des chagrins ; depuis j'y ai pris part ; mais alors, le chagrin!
je ne pouvais le comprendre. Le chagrin dans un univers si riant,
dans ce beau séjour de fête ! le chagrin chez ma tante, qui élevait
deux canaris charmants, qui avait un chat si gracieux, des bonbons
dans son armoire, du sucre dans le tiroir! Le chagrin ! j'en voyais
bien les signes sur sa figure, mais sans en comprendre le sens ni la
cause. Souvent, assise dans sa bergère, après m'avoir établi à quel-
que jeu, elle devenait pensive, triste, et si^elle se mettait à lire
quelques papiers que recelait l'autre tiroir, j'étais sûr de voir des
larmes couler le long de ses joues. Tante, lui disais-je, laissez les
papiers, vous pleurerez. — Oui, mon enfant, répondait-elle; c'est
fini. Elle les replaçait dans le tiroir, mais longtemps encore ses lar-