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 mes coulaient, en sorte que, contraint par cette vue, je continuais
 à jouer, mais sans bruit, sans comprendre non plus pourquoi, les
 papiers fermés, ma tante pleurait encore. Souvenirs qui me tou-
 chent! Bonne vieille dont la bonté m'attirait alors, mais que j'ai
 depuis tendrement chérie! Songes lointains, que le temps embellit,
 que Féloignement colore, qui sont le trésor du cœur et le baume
 du vieil âge !
    Il y a trente-deux ans environ qu'elle est morte. Je crois que je
 dus la voir bien près de ses derniers moments, car depuis plusieurs
 mois elle ne quittait plus le lit, que j'y allais encore. Elle n'était
 pas plus triste qu'auparavant, si ce n'est alors que ses douleurs la
tourmentaient. De son lit antique, entouré de rideaux verts, elle
 veillait sur mes jeux, excitait mon babil, elle souriait à ma gaîté, et
depuis qu'elle ne se levait plus, j'étais chargé du doux emploi de me
 servir moi-même dans l'armoire ou dans le tiroir; alors elle riait à
 voir la sagacité de mes choix qui tombaient toujours sur le plus
gros morceau, sur le plus large bonbon. « Tu choisis mieux que
moi, » disait-elle. Je l'entends encore.
    De temps en temps elle lisait dans un gros livre à tranche rouge.
Un instinct confus me portait à ne pas l'interrompre dans ces mo-
ments-là ; je marchais doucement par la chambre, je n'osai déranger
le chat qui faisait la roue sur la tablette de la fenêtre, et volontiers je
m'accoudais auprès, pour écouter le babil des canaris, dont les
sauts et les jeux me recréaient à défaut de ceux où j'eusse mieux
aimé être acteur moi-même. Mais quand j'entendais le gros livre se
refermer, je reprenais à l'instant ma liberté.
    Ce gros livre, c'était la Bible. Je l'ai compris plus tard. Comme
je la voyais toujours recueillie pendant cette lecture, et plus sereine
après l'avoir faite, il m'en est resté une impression ineffaçable de
respect pour le livre lui-même, et la conviction des consolations
qu'apporte la religion à ceux qui la cultivent par eux-mêmes dans
la simplicité de leur cœur. Elle s'est éteinte, ma pauvre tante,
mais j'en suis sûr, comptant sur les divines promesses, aspirant à
un monde meilleur, y apportant ses Å“uvres, ses vertus, ses cha-
grins et cette confiance douce qu'ont les belles âmes en un Dieu
qui répare et guérit, qui efface les fautes et tient compte des ef-