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des personnes âgées, infirmes, celles qui, travaillées de quelque in-
fortune, fuient la foule et le bruit, assises dans l'ombre des parvis,
écoutent le service ou psalmodient'au Seigneur. Souvent j'entre dans
quelqu'un de ces temples, pour goûter la fraîcheur sous ces voûtes,
pour écouter l'écho mystérieux de la voix qui parle, pour me laisser
émouvoir par l'orgue qui prélude, et une fois ému me joindre au
saint concert. C'est moi que l'on voit là-haut, seul, sur cette galerie
déserte; je suis connu du sacristain, il me tient pour un homme
singulier, les idées pas absolument saines.
   Plus souvent, à cette heure, je ne sais quelle tristesse, nie chas-
sant hors de chez moi, me porte vers les champs. Je quitte l'ombre
des rues, j'arrive sous la voûte du ciel ; mais la foule me déplaît,
ces habits de fête me choquent; le bruit, la poussière m'attristent;
je tourne vers les lieux délaissés, vers les avenues solitaires; bien-
tôt mes pas suivent celle où ne passent guère que les morts à leur
dernière promenade ; j'arrive au seuil, je le franchis et j'erre parmi
les tombes.
   Ici ce n'est plus la tristesse, c'est la mélancolie qui pénètre mon
 cœur, quelquefois un peu amère, plus souvent douce et attendris-
 sante. Je foule au pieds ces herbes, je passe sous l'ombrage de ces
 saules, je regarde l'éclat éblouissant des murs blanchis qui ceignent
 cette solitude, et sans plus de distractions que celles là, je trouve
 que les heures coulent rapides et remplies. C'est que, pendant que
 mes sens sont ainsi occupés, mille rêveries captivent mon cœur,
 mille figures s'y peignent, mille sentiments y vivent ; il est devenu
 le domaine d'une poésie vague, mais profonde ; sinistre, mais
 émouvante. Il me semble comme si je planais au-dessus de la vie,
 au-dessus des âges, des destinées, comme si, du ciel, je voyais ces
 générations diverses que recouvre cette terre que je foule ; puis, je
 reviens à moi même, bientôt foulé par d'autres. Ma jeunesse est fi-
 nie, le plaisir est usé pour moi, je ne connaîtrai plus les passions
 brûlantes ni le rire folâtre, mais mon ame a encore de la curiosité
 pour ce grand mystère de la mort, il l'attire par un charme invinci-
 ble, et ce triste plaisir survit à tous les autres.
   Tout d'ailleurs n'est pas sombre daus les souvenirs qu'évoque
 pour moi cette plaine funèbre. Elle récèle des êtres sous l'aile des-