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   Nous pouvons proclamer avec orgueil et reconnaissance ces
grands résultats des efforts de Richelieu ; mais il ne faut pas
oublier cependant les droits imprescriptibles de la morale, et
la grandeur du succès ne doit pas nous empêcher d'examiner
et d'apprécier les moyens par lesquels il fut obtenu. Il y a
deux manières de gouverner les hommes. L'une, qui est celle
des princes bons, mais faibles, considère la société comme une
famille, conseille plutôt qu'elle n'ordonne, menace plus sou-
vent qu'elle ne frappe. Tenant compte des considérations de
fortune, des besoins et des affections de chaque famille, elle
agit mollement et n'a pas, pour les déprédations, l'incapacité
ou le vice, ces haines vigoureuses dont parle Molière. Avec ce
système, on acquiert, sinon l'estime, du moins l'affection des
masses qui vivent paisibles, et celle des hautes classes que la
tolérance et les bienfaits soutiennent et encouragent; mais on
ne fait rien de grand, rien de solide, rien de durable. L'autre
système consiste à voir l'avenir plus que le présent, à considé-
rer les faits plus que les hommes, à réaliser les principes à


qu'il a créées pour être maîtresses des autres.—Sa vie fut un combat éternel, a
dit du même ministre un des esprits les plus élégants de nos jours, M. de Fon-
tanes. Toujours près de sa chute en préparant celle des autres, il a besoin d'être
courtisan, même lorsqu'il est roi. Ce mélange de souplesse et d'audace, ces dan'
gers qu'il éprouve et cette terreur qu'il inspire, sans jamais la ressentir ; l'énergie
de son ame qui résiste aux souffrances d'un corps usé par les maladies, cette
ambition qui ne trouve aucune gloire ni au-dessus ni au-dessous d'elle-même ; tout
dans Richelieu imprime l'étonnement ou commande l'admiration.—A ces témoi-
gnages imposants en faveur de Richelieu, nous pourrions en ajouter un autre
plus imposant encore. Lorsque le créateur de la puissance moscovite, Pierre-
le-Grand vint, au commencement du XVIII e siècle, étudier notre civilisation,
il alla visiter le tombeau de Richelieu à la Sorbonne, et s'écria après un ins-
tant de réflexion : « O grand homme ! je voudrais que tu vécusses encore, je
 « te donnerais la moitié de mon royaume pour m'apprendre à gouverner
« l'autre. » Jamais plus sincère et plus naïf éloge d'un homme politique
n'a été fait par un juge plus compétent.