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304 En même temps Charlemagne avait marché de nouveau au combat. Autour de lui l'herbe verte se teignit de sang sarrazin. Mais par où passait Oger, il faisait avec sa lourde épée un chemin qui n'aurait pas été trop étroit pour le plus énorme charriot. Maint baron est occis, maint baron reste prisonnier. Mais cette fois ce sont partout les payens qui ont tort. Sur tous les points de la vaste bataille, les chrétiens ont raison à leur tour. En ce moment les trom- pettes de l'avant-garde se font entendre. Roland et les paladins égarés dans les bois depuis le matin viennent par derrière attaquer les Sarrazins avec furie. Au son qu'ils connaissent si bien du terrible cor d'ivoire, ils s'en- fuient de toutes parts, maudissant leur dieu Mahom et leur dieu Tervagant. Nos Français n'en prirent pas u n , mais ils les tuèrent tous. Nul n'escapa, se la geste ne ment. Jamais, en aucun temps, en aucun lieu, on ne vit pareille misère. Le Tibre et la mer d'Italie furent rouges de sang payen. Alors seulement les mains des chevaliers français furent lasses, mais non pas rassasiées de carnage. Ils s'arrêtent, le front ruisselant de la noble sueur du combat. On parle de cette grande victoire et des faits d'armes que leurs derniers neveux n'oublieront pas. L'éloge d'Alori est dans toutes les bouches; car on croyait encore que c'était lui qui avait sauvé l'armée. Mais lorsque l'enfant Oger eut délacé le heaume étincelant qu'il avait enlevé au lâche marquis de Mantoue, et qu'une chevelure de page ruissela en boucles d'or sur son armure de chevalier, l'étonnement, la joie, l'ivresse, éclatèrent autour de l u i , et se propageant de proche en proche, apprirent à l'empereur quel était son sauveur et celui du peuple chrétien.