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66 s'ils écoutent toujours les négociants européens qui achètent leur coton. Les Osmanlis y sont un peu plus rares, les Francs plus pressés, les voitures plus nombreuses et voilà tout Ce n'est ni l'Orient ni l'Occident : c'est un grand bazar qui a bien aussi sa poésie, mais ce mélange de produits et d'indi- vidus , cette multiplicité d'idiomes et de costumes , de bâti- ments à voile et de paquebots à vapeur , ne frappent pas d'a- bord comme un beau monument. Marseille n'a rien conservé des premiers âges ; on ne reconnaît plus la fille de Phocée , et ce n'est pas encore la Babylone de l'avenir : elle ne s'est pas encore parée des monuments de l'industrie nouvelle. Et son soleil est trop chaud, ses jardins trop sablonneux pour faire deviner la fécondité de la France. Assourdi par l'activité et le bourdonnement de la foule qui semble fiévreuse , en sortant de chez un peuple lent et pa- resseux , je pensais ne plus goûter aucun plaisir dans ces contrées où naguère j'espérais tant me réjouir. J'évoquais pour me distraire mes souvenirs de Constantinople et du Bos- phore , de la Troade et du Scamandre , de Ténédos et de Me- telin ; je pensais à Smyrne , à Balbec , à Chypre , à Beyrout, au Kaire et enfin à Méka , la ville de mes prédilections , quand j'aperçus un coteau verdoyant et une humble chapelle ; et bientôt, devant moi, se déroula un tableau animé où les vergers et les maisons, les flots dorés et les monuments brunis se pressent avec un charme indicible. La majesté du Bosphore , l'élégance des Caïques , Scutari et la tour de Léan- dre trouvèrent une rivale. Dans mon extase, je ne pouvais comprendre que j'eusse vécu vingt ans sans admirer chaque jour une situation si délicieuse. Et lorsque, cessant de faire planer mon regard sur l'ensemble de ce panorama magnifique, j'admirais séparément ces merveilles, l'Orient me parut un cadavre habillé de souvenirs éclatants, mais qui montre tou- jours le suaire de la tombe ; Lyon étale au contraire l'énergie d'un homme qui travaille, la grâce et la beauté d'une femme qui danse à une fête. Je sentis alors pourquoi le poète ne peut