Revue du Lyonnais » série 3 - n°16 ( 1873 ) » pp.292

292              ÉTUDE HISTORIQUE SUR CLUNY.

   Cette histoire de l'abbaye de Cluny, comme les histoires
de toutes les institutions humaines, présente trois époques
bien distinctes, trois phases parfaitement tranchées. Dans
la première, qui dure un siècle et demi, la congrégation,
favorisée par toutes les circonstances extérieures et inté-
rieures, prospère, se développe et grandit. Dans la seconde
phase, au milieu du xr3 siècle, elle est arrivée à l'apogée de
sa gloire et de son influence, mais après un siècle de
cette élévation et de cette grandeur, le monde change, et les
nouvelles relations extérieures apparoissen't. L'abbaye perd
tous les ans quelque chose de sa grandeur et de sa puis-
sance , et, après une longue agonie de dix siècles, ses por-
tes se ferment en l*J9d, par un décret de la Convention
nationale, et ses moines se dispersent ou" montent sur
l'échafaud ; la grande basilique du xie siècle, chef-d'œuvre
de l'art chrétien, disparaît presque complètement, et le
grand bâtiment de l'abbaye, situé au centre de la ville, est
affecté à toutes sortes de destinations : on y place la mai-
rie et le théâtre, le collège et les écoles primaires, les pri-
sons et le prétoire du juge de paix, le bureau des poids et
mesures, les greniers publics et la bibliothèque de la ville,
formée des débris des anciens trésors littéraires et scienti-
flquesdes bénédictins. Les jardins du couvent sont devenus
une promenade publique, et dans l'endroit même où était
la partie principale de l'église on a élevé des bâtiments
pour un établissement de haras de l'Etat. C'est à cette der-
nière circonstance que fait allusion le poète du pays dans
ces vers énergiques :

        O honte ! en ce lieu même où se dressait le chœur,
        Où fumait l'encensoir, où des voix fraternelles
        Frappaient de saints accents ces voûtes solennelles
        Que visitaient les rois, que Grégoire bénit,
        Un palefrenier jure, un étalon hennit.
   Mais détournons nos regards de cette triste profanation
et en remontant dans le cours des siècles, arrivons jusqu'à
l'époque de la fondation du monastère.