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CONSTANCE DAYMER. 209 alors, que j'aie autant tardé à te répondre, ce qui risque de me faire manquer cette belle position. C'est que ta proposition et mon dessein de l'accepter ont bouleversé le village entier d'Ab- bans ; je peux dire tout le village, car les autorités s'en" sont mêlées. A la première ouverture que j'avais faite au sujet de mon départ, ma mère avait pleuré, sans me dire grand'chose. A table, OÙ a demandé son avis à Mathieu, l'oracle de la maison. Il n'a rien répondu, maisil est parti presque aussitôt, avant la fin du repas. Ursule, ma sœur, m'a rapporté qu'à son gré je fais là une grande sottise. Puis, pour elle-même, elle m'a soumis toutes sortes de raisonnnements pour me déterminer à demeu- rer ici. Elle a fini par m'annoncer, ce que je savais très-bien, l'amour de Mathieu, son intention de n/épouser : « Vois, me disait-elle, quel bel et heureux avenir tu trouves ici ! Mathieu aura seul un jour la maison et la plus grande partie des terres qui sont autour. Il fait déjà très-avantageusement le commerce des bois. Il sera riche, et, avec la considération, l'estimé uni- verselle dont il jouit, il ne lui manque rien autre pour jouer dans le pays le rôle d'un personnage. Je sais que tu as ta petite ambition; mais, certes, voilà de quoi la satisfaire. Pour moi, tu le sais, je t'en ai parlé en secret, mon désir est d'entrer au couvent. Je ne ferai qu'une bien petite brèche à la fortune de la famille, revenant à mon frère. Mais, si je demeurais dans le monde, je serais fière et heureuse, j^ te le dis dans la sincé- rité de mon cœur, d'un établissement comme celui qui s'offre à toi. » Elle terminait en disant que celte importante révélation, elle n'en doutait pas, changerait ma détermination du tout au tout. J'ai remis au lendemain pour lui répondre, disant que je voulais réfléchir. Mais c'était tout réfléchi; je voalais seulement la ménager. Je lui ai préparé un petit discours, pour amadouer mes bons parents sans renoncer à mon avenir. J'avais beaucoup de confiance, ai-je dit d'abord, en la sagesse de Mathieu, mais, dû moment où il prétendait me garder à Âbbans pour lui, n'é- tait-il pas évident qu'il ne pouvait plus être d'un sûr conseil dans cette affaire, s'y trouvant intéressé et juge ? Sans doute l'établissement qu'il m'offrait était beau, mais trop beau pour U I