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                         CONSTANCE DATMEB.                        205

 dame. Je suis grosse Jeanne comme devant. J'ai eu, il y a peu
 de jours, les importantes révélations du directeur de la Charité,
 sur ma naissance. Lui. n'avait pas été comme ces imprudentes
 religieuses, empressées de me monter la tète; il m'avait promis
 rien du tout, mais il a bien tenu parole. Il m'écrit qu'il n'y a
 rien de plus sur le billet que mon nom et la date de mon entrée
 au monde, où je jouerai un maigre rôle toujours, comme tu
 vois. En même temps, l'Hospice m'envoie la permission de res-
 ter ici, sans me demander si cela me fait plaisir. Toi qui n'aimes
 pas t'enterrer à la campagne, tu te plairais médiocrement ici,
 village en pleine'montagne et bien plus sauvage que ceux qui
 Font dans les prairies ou plus proches de Besançon, où il y a
 des foires, des cabarets, des diligences ; si bien qu'on y a un
 peu de vie et de gaité. La famille Servolet, que j'aime beau-
 coup, parce qu'on y est très-bon pour moi, s'imagine que je
passerai volontiers mon existence dans ce bout du monde ; et
c'est die qui a demandé au Directeur de l'Hospice, qui s'intitule
notre tuteur à toutes, s'il permettait qu'on me garde. Vois-tu la
belle perspective qui m'est faite? Je me passionnerai perpétuel-
lement, à leur gré, pour le Libour, les semailles, la l?ssive, la
chauffaison du four; je cesserai de respirer si une vache tombe
malade, comme c'a tté la semaine dernière, où personne ne di-
sait plus rien à table. Je ne serai pas toujours fille, il est vrai ;
j'ai tourné la tête à deux hommes ici pour le moine, et qui se-
raient bien fiers d'avoir ma main. L'un est le maître d'école,
aussi gueux que moi, l'autre, mon frère Mathieu Servolet, que
j'aime beaucoup mais pas à ce point-là. Il paraît q 1e j'en tiens
pour les savants ou eux pour moi. Après le curé, le maître d'é-
cole est la plus forte tête de l'endroit. Mathieu, lui, ne sait pas
le latin, mais il parle, avec le notaire et les ouvriers, des affaires
de la maison. Il est toujours fourré avec les géomètres, mar-
chands de biens, marchands de grains, de Besançon, qui sont
enchantés d'avoir son avis, parce qu'il a été à l'école d'agricul-
ture et qu'il chiffre comme pas un. Si tu voyais cet oracle, en
sabots, conduire ses bœufs ou ses cochons à la foire, je suis sûre
que tu rirais. Un jour il voulait m'embrasser, et je l'ai repoussé