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CHASSE A LA GRIVK. 303 La truffe noire me rappelle ces drôlesses à naissance honteuse, à existence obscure, à figure ignoble et insolente qui n'en sont pas moins courues et courtisées par les heu- reux du jour. Un tubercule pauvre à faire de la peine, c'est la pomme de terre. Quand j'en vois une en robe de chambre, le cœur me serre et je lui ferais l'aumône si je savais comment m'y prendre pour lui donner sans l'offenser. Le chêne est noble, fier et majestueux; le châtaignier se préoccupe moins d'êtrebeau que d'être utile; l'if est mélan- colique, le saule pleureur me fait toujours rêver tombeau. Tout le monde sait que le dindon est un sot, l'éléphant un penseur, le renard un chasseur, le taureau un brutal, l'oie une méchante et mauvaise bête. L'âne a un cœur sensible et il serait très-intelligent si on lui parlait autre- ment qu'avec un bâton. C'est un esclave admirablement doué qu'on humilie et qu'on abrutit. Epictète, Esope, Plaute, esclaves comme lui, ont résisté ; lui succombe et c'est dommage, car il ferait honneur à la famille des ani- maux. Mais ce que peu d'écrivains ont dit, c'est que, dans la même race, on trouve des différences de caractères ; il y a, par exemple, des chevaux gais, tristes, obéissants, rancu- neux, aimants, fidèles, gourmands, paresseux; des chiens égoïstes, railleurs, orgueilleux; des chats dévoués et sen- sibles. Tous les sentiments, toutes les qualités, tous les vices trouvent un cœur pour s'y loger. Un jour, avec un ami, j'allais de Lyon à Sainte-Foy, nous causions avec intimité. Une hirondelle à qui nous plûmes ou qui peut-être voulait surprendre nos secrets, trouva plaisant, après deux ou trois cercles rapides, de foncer derrière nous et de glisser entre nous deux, à quatre centimètres de nos coudes ; une fois passée, elle se livra aux évolutions les plus capricieuses et les plus folles comme une écolière en gaité qui vient de faire une bonne plaisanterie.