page suivante »
304 CHASSE A LA. GRIVE. C'était une voyageuse à qui la traversée des mers et des déserts n'avait pas ôtéla fraîcheur de l'imagination. Hélas! elle n'avait pas nos soucis ! Tout à l'histoire des hommes, on n'a pas assez étudié ce monde immense, où tant d'intérêts se croisent. ; cette scène où tant de drames se jouent, ces comédies dont les péripéties se déroulent dans les airs ou au fond des eaux ; ces tragédies sombres, où rien ne manque, ni le traître, ni la victime, ni le meurtrier. Dans ces pièces compliquées, le singe fait les premiers comiques, l'alouette et le pinson les seconds, des pre- miers, la grive les travestis. Impossible de voir un ca.rac- tère plus goguenard, plus enjoué ou plus railleur. Elle a la verve qui enlève, elle brûle les planches mieux que la Déjazet. On la chasse, elle sait parfaitement que sa vie est en pé- ril, mais téméraire comme un zouave d'avant la République, elle part et rit en s'enfuyant. Qui n'a joué à cache-cache avec elle, lorsque la tenant au bout du fusil, elle tourne autour d'une branche, se dérobe sous une feuille et jouit de votre déception? Son aile rapide pourrait l'emporter au loin, elle préfère se divertir de votre déception, lire votre convoitise et votre dépit, quand, vaincu et vexé, vous abandonnez la partie. Seule avec les autres oiseaux de la vigne ou de la forêt, elle mime, elle danse, elle chancelle, elle batifolle comme Arlequin ou Paillasse: tous les yeux sont tournés de son côté ; elle triomphe de l'étonnement de chacun ; elle est en scène et joue un rôle comme un acteur, et c'est souvent à jeun, c'est quand les raisins sont à peine mûrs qu'elle se livre à ces contorsions de baladin, à ces grimaces d'his- trion, si amusantes, si pleines d'entrain et de joyeuseté. En créant la grive, la Providence a voulu jeter une note gaie dans son concert universel, amuser la galerie et ré- jouir la gent ailée avant d'en faire un morceau digne de l'homme, ce roi de la création.